Lilo et Stitch est une anomalie dans la production Disney. Le film est sorti en 2002, entre Atlantide l'empire perdu et La Planète au trésor, soit en pleine débâcle des studios après une décennie d'irrésistible ascension. Il est sorti en été, assorti d'une campagne publicitaire assez originale durant laquelle Stitch venait pirater les succès des années précédentes, et on sentait que ce n'était pas un « grand classique » venu là pour casser la baraque, plutôt une sorte d'expérimentation bizarre, de test hasardeux.
Mais il a marché, et Stitch, depuis, est quasiment devenu la nouvelle mascotte officielle du studio. Proposez une peluche Stitch, Mickey et Winnie à votre gamin, vous allez vite comprendre. Et ça me rend un peu triste, parce que je trouve que ce qu'il y a de vraiment réussi, de vraiment original, de vraiment intéressant dans Lilo et Stitch, ce n'est pas la partie Stitch, c'est la partie Lilo.
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Une des meilleures représentations de relation sœur / sœur de l'histoire de l'animation. Sans problème. |
J'ai déjà parlé des personnages il y a longtemps, notamment sur ce vieux blog que personne n'a jamais lu, mais les personnages humains de ce film sont tellement bien campés, bien conçus, bien caractérisés... Lilo est une vraie petite fille, pas un génie de 30 ans déguisé en enfant. Elle a des vrais problèmes, et ça se voit. Nani, sa grande sœur, est un virage à cent quatre-vingts degrés dans la représentation de jeunes femmes racisées dans les productions Disney (qui ne se reproduira plus, d'ailleurs) : elle a un physique plus réaliste, elle est moderne, dépassée, dans la merde mais ce n'est pas une princesse à sauver, d'ailleurs elle envoie bouler son prince parce qu'elle n'a pas le temps parce qu'elle bosse et qu'elle doit faire les courses, le ménage, la bouffe, qu'elle a une petite sœur qui risque de finir à la Ddass si elle ne trouve pas un moyen de s'en occuper et c'est vraiment la merde bordel ! J'ajoute que le personnage du « prince » dont je parlais, David, est un des personnages masculins les plus positifs jamais vus dans un Disney : il ne s'impose pas mais il aide, il ne force jamais rien, il est juste sincère et fait de son mieux.
Tout ça c'est bien gentil et vous le savez sûrement déjà, mais il y a plus. Parce que Lilo et Stitch, c'est aussi un film politique. Comme tout film américain mettant en scène des populations racisées, imposant un regard sur celle-ci. Rappelez-vous qu'on est à peine quelques années après Pocahontas, qui en termes de respect des populations indigènes nord-américaines avait été... comment dire ? Polémique ? A minima ?
Lilo et Stitch prend place à Hawaï, or Hawaï, ce n'est pas juste une île paradisiaque, c'est une ancienne colonie américaine, qui a été le dernier État intégré aux USA en 1959, il y a ridiculement peu, et est depuis devenue un immense vortex touristique, au mépris évident de la culture locale. Et ça, c'est très présent dans le film : Nani travaille dans un bar à touristes, en tenue de vahiné ultra cliché et un peu dégradante (qu'elle ne porte jamais dans sa vie de tous les jours), les touristes traitent Lilo comme si elle était une employée d'un vaste parc d'attraction (c'est particulièrement visible dans les scènes coupées, qui l'ont été pour cette raison : le film était réellement trop politique pour Disney !) et sa famille est menacée d'éclatement par un très littéral agent du gouvernement fédéral (qui n'est même pas méchant : il reconnaît lui-même être un rouage du système !).
L'attachement de Nani à sa culture est représenté à plusieurs reprises : elle surfe (et c'est d'ailleurs un des rares moments de rapprochement avec Lilo), et quand Lilo et elle sont sur le point d'être séparées elle lui chante Aloha 'Oe, qui n'est pas juste un air aux sonorités vaguement insulaires : c'est un chant d'adieu écrit par Lili'uokalani en personne, dernière reine d'Hawaï, commémorant l'annexion par les États-Unis. C'est ce chant, aussi politique qu'un Bella ciao, que les scénaristes ont choisi de faire chanter à la grande sœur à la veille de leur séparation*.
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La scène est déjà émouvante en soi, mais quand en plus vous connaissez l'histoire de la chanson... |
Donc oui, pour moi Lilo et Stitch est un film important, en plus de son alien bleu rigolo** et de tout un tas d'autres trucs (il y a aussi un personnage transgenre, et ça ne gêne personne). Un film que Disney a bien sûr dévoyé en le transformant en machine à fric, parce que c'est ce que fait le capitalisme, mais un film qui continue à émerveiller aujourd'hui, et qui gagne à être revu. Alors en ces jours où sort son remake de merde (qui j'en suis sûr gomme autant qu'il le peut tous les aspects que j'ai évoqués, en plus d'être moins bien fichu et moins drôle), revoyez donc l'original, en gardant à l'esprit ce que vous venez d'apprendre.
* Une grande partie de ce que j'écris ici s'inspire de cette excellente vidéo de Lindsay Ellis, que je vous conseille (c'est sous-titré).
** Qui est rigolo, hein, pas de problème. Stitch est très drôle, je ne m'en plains pas, et il a son rôle dans le film.
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