Le livre par où tout a commencé. |
En 2006 sortait au cinéma Da Vinci Code, un film de Ron
Howard avec une foule de têtes d’affiche (même si certaines sont un peu
oubliées aujourd’hui) : Tom « Forrest Gump » Hanks, Jean « Léon »
Reno, Audrey « Amélie Poulain » Tautou, Ian « Gandalf/Magneto/J’ai
grave la classe » McKellen…
À l’époque, nous étions allés le voir, Fute, Marc et moi. Nous n’attendions rien de spécial, mais le casting, le
réalisateur (qui avait quand même fait des films comme Apollo XIII), l’espoir d’une
intrigue à tiroirs avec conspirations millénaires… nous avaient semblé attrayants.
Nous sommes tombés de haut. Vers la moitié du film, devant
la face blême d’un Tom Hanks qui semblait totalement perdu, je glissai à mon
camarade : « Il est malade, Tom Hanks, non ? » Ce à quoi il
répondit : « Non, je crois qu’il se fait chier. » Et l’évidence
se fit instantanément : son personnage, Robert Langdon, « héros »
de l’intrigue, n’avait eu strictement rien à faire depuis une demi-heure, et n’aurait
du reste rien de plus à faire jusqu’à la fin de l’intrigue. Et personne ne lui avait dit comment jouer ce rôle de héros sans emploi.
Robert Langdon, l'homme-huître ! |
Commença pour nous un moment de grâce : soudain
conscients de la vacuité totale du film, nous avons commencé à délirer.
Retrouvant le plaisir du nanarophile, nous avons souri, puis pouffé, puis
franchement ri devant les incohérence du scénario et surtout la prétention
démesuré du long-métrage à nous faire croire qu’il traitait de sujets cosmiques
alors qu’il mettait juste en scène une chasse aux trésors du niveau d’un
mauvais jeu de rôle. Cet écart titanesque entre l’ampleur de la promo du film
et son pitch faiblard l’avait d’ailleurs fait huer au festival de Cannes, où le
réalisateur et toute l’équipe étaient carrément venus le présenter en
avant-première, n’ayant peur de rien.
Plus tard, j’ai lu le roman de Dan Brown dont le film était
adapté, et à ma grande surprise je l’ai trouvé correct. Certainement pas une
grande œuvre de la littérature, même pas de la littérature de genre, mais un
roman de gare potable, apte à vous distraire le temps d'un Paris-Bordeaux
en deuxième classe. Mais l'ouvrage a bénéficié d’une « polémique »
artificielle, le Vatican s’étant apparemment ému des sacrilèges qu’il soulevait
(pour spoiler, en gros, le roman part du principe que Jésus-Christ aurait eu
des enfants avec Marie-Madeleine, ce qui n’est quand même pas une hérésie de
très haut niveau – on a vu bien pire ailleurs). C’est grâce à ce buzz
(largement relayé par les médias, ravis de se prêter au jeu de l’éditeur) que
le roman a atteint son statut de brûlot sulfureux.
Dan Brown, pas plus con qu’un autre, a surfé sur la vague et
s’est investi dans les aventures de son nouveau héros au charisme d’huître :
Robert Langdon est donc devenu son personnage principal. Le problème, quand on
écrit des histoires à base de chasse aux trésors (mais littéralement hein :
le héros trouve un indice conçu pour l’amener à un autre indice, et ainsi de
suite jusqu’au boss final), c’est que ça n’impose pas particulièrement de
développer les personnages outre-mesure.
Et ainsi, trois ans plus tard sortait Anges et Démons (en
fait adapté du premier roman avec Langdon, mais qui au cinéma se passe après Da Vinci
Code… vous suivez ? Non ? C’est vraiment pas grave). La crainte nous
étreignait. Marc, Fute et moi avions passé un réel bon moment avec DVC, nous
avions ri, nous avions revu le film avec des amis (qui n’avaient d’ailleurs pas
bien saisi le délire), c’était de ces expériences qui renforcent une amitié. La
suite allait-elle faire aussi fort ?
Ewan McGregor en prêtre. Sûrement un fantasme pour plein de gens en fait... |
Ron Howard, toujours à la barre, ne nous a pas déçus. Anges et Démons est largement aussi raté
que DVC, mais d’une manière
totalement différente. DVC était lent et plombé par son scénario plan-plan (A
mène à B qui mène à C qui mène à D…). A&D est agité et court dans tous les
sens sans rien comprendre à ce qu’il fait. Le scénario est un fatras absurde
impliquant le fils du pape (Ewan McGregor, qui fait ce qu'il peut – oui, Howard a
toujours un casting de fou et en fait n’importe quoi), une bombe à antimatière
du Cern (si vous êtes vaguement versé dans la physique vous allez vous marrer),
des statues dans des églises romaines qui pointent la bonne direction depuis
quatre cents ans… Le résultat est con comme la lune et résolument désopilant, d’autant
que le scénariste a cette fois essayé de développer le personnage de Langdon
(probablement conscient qu’il avait sauté cette étape lors du précédent film).
Et là on atteint le niveau 1 de la caractérisation de
personnage. Langdon, d’empâté, devient sportif (on le découvre en train de
nager). Il devient aussi, surtout, complètement nul, sans que le scénario ne s’en
rende compte. On le voit faire des déductions supposées nous
impressionner (« Alors comme ça vous venez du Vatican ? - Comment vous savez ça ? - Le symbole sur vos chaussures. - Impressionnant. Bon en fait je viens de l'ambassade, donc pas du tout d'Italie, mais bon, bien essayé. »). Et il
y a évidemment ce moment magique où on découvre que Robert Langdon, spécialiste
des symboles, de la sémiologie, du décryptage, de l’histoire médiévale (il est
symbologue, un métier qui n’existe pas et traduit surtout l’ignorance de l’auteur
du terme « sémiologue »)… ne lit pas le latin.
Passons sur le final de film d’action… non, ne passons pas d’ailleurs.
Parce que c’est très révélateur du principal défaut de ces films : ils
pensent être des films d’action, ou au moins des thrillers, alors que toutes
leurs prouesses consistent à lire des trucs et déduire des machins. Et comme Ron
Howard n’est pas exactement un réal subtil, à aucun moment il ne parvient à
approcher la délicate alchimie d’un, au hasard, Sherlock (qui réussit ce
mélange).
Bref, Anges et Démons nous avait comblés.
Puis, en 2016, l’annonce d’Inferno arrive. Le troisième
épisode des aventures de Langdon allait-il se montrer à la hauteur ?
Évidemment, nous étions présents tous les trois pour ce qui
était devenu un rituel. Alors, qu’allait donc vivre notre ami Robert à Florence ?
La fine équipe d'Inferno. Croyez-moi, cette jeune femme ne va pas vous décevoir ! |
Bon sang que c’était bon. Howard a lâché les vannes, tout
est désormais possible, toutes les phrases les plus débiles sont accessibles. Le
but est, depuis le début, de nous faire comprendre que Langdon est intelligent.
C’est normal, dans ce genre d’œuvre, le héros doit légèrement devancer la
pensée du spectateur. Mais là, on a l’impression qu’on nous prend pour des
incultes absolus. Devant un mélange de lettres devant apparemment signifier
quelque chose, Langdon met trois bonnes minutes à dire « mmmh… peut-être
une anagramme ? » Mais… mais… tu cherchais quoi, exactement, en
remuant les lettres dans ta tête depuis cinq minutes, si c’était pas une
anagramme ? c’est pas un mot compliqué et impressionnant, « anagramme »,
tous les gamins ayant fait un jeu dans Le Journal de Mickey une fois dans leur vie savent ce que c’est,
une anagramme ! Ils savent pas forcément que c’est féminin, mais bon, on s’en
fout.
L'équipe de tournage. Sérieux, on voit bien qu'il y a un souci, non ? Même Ron Howard (sous la casquette) regarde ailleurs, genre "Je sais pas ce que je fais sur cette photo !" |
Tout le film est à l’avenant, avec un méchant complètement
absurde, un plan de méchant encore plus con, des « scènes d’action »
que n’oserait pas le Golden Moustache (une course-poursuite avec des drones,
notamment, qui atteint des sommets de nawak), des retournements de situation à
faire pleurer un scénariste de sitcom… définitivement, cet Inferno ne nous a
pas laissé tomber, et nous avons longuement débriefé à une crêperie proche en nous
marrant bien fort.
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