On m’a demandé ce que je pensais du dernier Astérix, je l’ai donc lu attentivement afin de proposer une opinion claire et objective.
Mais je ne pense pas que j’y arriverai. De deux choses l’une : soit vous considérez cet album comme faisant partie de la série et le jugez à l’aune des production Goscinny/Uderzo de la grande époque. Dans ce cas, il s’agit d’un album mineur, sans fulgurance mais pas forcément honteux.
Soit vous considérez le contexte, à savoir :
- que René Goscinny, le créateur de la série, fut un des plus grands génies de la bande dessinée, toute époque confondue, et que la reprise de son univers est donc une entreprise dans laquelle, au mieux, vous mettez en danger toute votre carrière artistique,
- que Goscinny est mort depuis trente-sept ans, et la série depuis vingt-sept (Astérix chez Rahàzade fut, en 1987, le dernier à peu près acceptable). Dès lors la question du lectorat se pose : qui lit Astérix de nos jours ? Les trentenaires émus et nostalgiques ? Les jeunes habitués aux mangas et à Titeuf ? à Lou ! ? à De cape et de crocs ? C’est important pour l’orientation de l’œuvre,
- qu’Albert Uderzo, gardien du temple autoproclamé, a tourné la carte depuis un bon moment, comme en témoigne l’ahurissante débâcle du Ciel lui tombe sur la tête. Un album non seulement peu réussi artistiquement, mais au message réactionnaire surprenant. Uderzo s’y étonnait, avec vingt ans de retard, du succès grandissant du manga abrutissant et du comics décérébrant, et affirmait bien haut son admiration pour la joliesse de Disney. Autant La Galère d’Obélix n’avait juste aucun intérêt, autant ce dernier album était une épouvantable purge pour tout fan de la série*. Or Uderzo a longuement commenté le fait qu’il surveillerait de très près les successeurs pressentis pour l’album (et de fait, le premier dessinateur a dû dégager en plein processus).
Tout cela éclaire d’un jour nouveau cet Astérix chez les Pictes, que l’on ne peut simplement considérer comme « un de plus ». La pression sur les artistes à l’œuvre a dû être ahurissante, difficile d'imaginer qu'ils aient travaillé sereinement, dans les meilleures conditions. Du coup on peut facilement reprocher à l'album son manque d’audace (comme on lui aurait reproché son manque de classicisme s’il avait trop déraillé).
Astérix est rusé, Obélix rigolo, les jeux de mots présents… l’intrigue nous emmène donc chez les Pictes, que l’on connaît mieux depuis Rebelle**. Au menu, quelques clichés sur l’Écosse (mais pas tant que ça… notamment rien sur leur avarice légendaire, ce qui aurait pourtant pu être source de nombreux gags), kilts, monstre du Loch Ness, etc. et en prime un Vincent Cassel en grand méchant Mac Abbeh. Tout ça ne va pas bien loin, mais ça passe mieux qu’un échec.
Visuellement, ça passe. Scénaristiquement, c’est pas innovant mais ça passe. Niveau écriture, on aimerait rire un peu plus, mais ça passe. Bref, on est loin, très loin d’un Journal d’un ingénu*** ou d’une réinvention géniale du mythe.
C’est dommage, mais ça aurait pu être tellement pire que je suis quand même, quelque part, soulagé.
Bien sûr, ce n’est pas le meilleur sentiment qu'une œuvre peut provoquer chez un critique. Mais c’est le mien.
* Concernant La Rose et le Glaive,
je l’ai lu il y a bien longtemps et pas relu depuis. Mais s’il n’est
pas parfait, il a au moins le mérite d’introduire des notions de
féminisme dans une série qui, pour reprendre une sympathique expression
américaine, a tout de même souvent des allures de fête de la Saucisse.
**
Pour ceux que ça intéresse, sachez que les Ch’tits Hommes Libres de
Terry Pratchett sont librement inspirés de ce peuple (des fées pictes,
ou « Pictsies »). Ça vous donne une idée de leur finesse proverbiale.
*** Dans lequel Émile Bravo revisite magistralement les personnages de Spirou et Fantasio. À lire à tout prix si vous voulez vous faire une idée de ce qu'un auteur peut faire avec de vieux personnages quand on lui laisse libre cours !
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