Ex nihilo Neil

01 décembre 2017

Ecriture inclusive et politique

On me demande parfois mon avis sur l'écriture inclusive. Étant correcteur de profession (secrétaire de rédaction plus précisément, mais ça inclut la correction de textes), je suis peut-être légitime à m'exprimer sur la question.

L'arme des féminazies pour détruire les fondements de la société. Tremblez !


Alors, expédions le problème : l'écriture inclusive, je trouve ça très bien. Globalement, dans mon boulot, je m'échine à féminiser les titres (ingénieure, auteure, directrice générale...). J'admets que je préfère la parenthèse au point médian. Il se trouve que mon objectif, en tant que secrétaire de rédaction, est de rendre la lecture fluide. Or le point médian fait buter l'œil tous les trois mots, du coup il est contre-productif (du reste mes clients ont leur propre charte typo, et n'accepteraient pas un point médian en plein milieu de leurs articles). C'est temporaire, si la sauce prend, d'ici deux ans ça ne choquera plus personne, et son usage sera couramment admis, quoi qu'on en dise.

Mais justement, le but de l'écriture inclusive, ce n'est pas de changer la langue, c'est d'attirer l'œil sur un problème plus large, de soulever le débat sur la place des femmes dans la société. Un débat qui va nettement plus loin que les histoires de masculin/féminin (car les englobant en grande partie).  
D'où la question : pourquoi avons-nous droit à un tel bordel, avec des ministres (des ministres en exercice, hein ! du même gouvernement, du même parti !) qui s'envoient des Scuds les uns aux autres sur le sujet à la tribune du Parlement. D'autant qu'en focalisant sur son simple aspect syntaxique, le gouvernement fait passer ce combat pour du pinaillage et l'enterre sous des débats plus ou moins stériles (la « destruction de la langue française » et autres fadaises).

Alors de trois choses l'une :

- ou bien ils en sont conscients, et le but est d'enterrer la question, ce qui en dirait long sur le pouvoir du sexisme (et le sexisme du pouvoir) en France ;
- ou bien ils n'ont pas saisi cette portée, et on peut légitimement se poser des questions sur l'intelligence de nos dirigeants et de leurs conseillers parce que franchement, c'est pas compliqué de comprendre que les féministes ne font pas ça juste pour faire chier l'Académie française ;
- soit nous avons affaire à une petite crise de sarkozyte, et on réemploie la bonne vieille méthode : « occuper le débat public avec des conneries qui énervent tout le monde pour masquer les saloperies qu'on fait en coulisse, genre démantibulation du code du travail et autres joyeusetés ».

J'hésite encore...

2 commentaires:

SammyDay a dit…

Allez, je te relance sur deux points ;

- que penses-tu de la règle de proximité (qui a ma faveur par rapport au point médian : quitte à rendre notre langue plus inclusive, je préfère une règle de grammaire qu'une nouvelle typographie potentiellement confusante - amusez-vous, les profs, pour corriger une dictée...)
- j'ai l'impression que ce combat, très bien mené pour attirer avec une certaine justesse notre attention sur certaines caractéristiques de notre langue bien désagréables, va finir par masquer plus que corriger le biais sexiste de notre société. Et je doute, lorsque je regarde les sociétés allemandes (le pluriel a la marque du féminin, le masculin et le féminin ne sont pas les seuls genres) ou anglo-saxonnes (peu ou pas d'accord avec le genre, le pluriel a sa propre marque), que corriger notre langue corrigera ce biais.

Bon week-end !

Neil a dit…

Excellentes remarques.
- Pour la règle de proximité, personnellement, je suis totalement pour. Essentiellement parce qu'elle est dans l'usage : on dit beaucoup facilement "les vendeurs et vendeuses sont compétentes" que "sont compétents", qui est pourtant la version officiellement juste. Or c'est l'usage qui doit prévaloir, plus que la volonté d'une quarantaine de vieux birbes souvent un poil réacs...
- En toute franchise, je pense que le seul bénéfice de cette action (qui n'est pas du tout négligeable) sera d'attirer l’œil et de lancer un débat sur la question de femmes. Mais je ne pense pas, et tes exemples sont éloquents, que la langue soit à la source du patriarcat : elle en est un symptôme, sans doute, mais pas une cause. Il n'est pas inutile de travailler sur la langue et sur ce qu'elle dit (Orwell l'a montré à tous, et les politiques actuels ne cessent de jouer sur les mots pour les pervertir), mais sur ce point précis je ne pense pas que ce soit suffisant, loin s'en faut.

Bon dimanche ^^