Je feuilletai récemment le magazine Collection Pop up !, acheté à la va-vite pour passer le temps lors d'un trajet de train, et j'ai été assez surpris d'y découvrir une grosse collation d'articles plutôt profonds et bien écrits sur la figure du vampire, de ses origines mythologiques à sa réinvention littéraire à la fin du XIXe siècle, jusqu'à ses multiples adaptations en films, BD ou jeux vidéo.
Je conseille la lecture de ce numéro si le sujet vous intéresse, moi il m'a donné envie de découvrir plein de films et de séries dont je n'avais jamais entendu parler. Et comme ledit train m'emmenait près de ma bonne vieille bibliothèque, j'en ai profité pour relire D, une BD d'Alain Ayroles et Bruno Maïorana (et Thierry Leprévost à la couleur) parue dans les années 2010. Les deux artistes y revisitent Dracula, en ajoutant plusieurs références à d'autres classiques de l'époque (notamment Bartleby et Le Portrait de Dorian Gray). J'en avais un très bon souvenir, mais après avoir lu le magazine je trouve cette BD encore plus estimable.
Car Ayroles est un de ces auteurs, comme Alan Moore (oui, carrément), qui gagne à chaque relecture. Relire D après en avoir appris davantage sur l'origine du vampire littéraire, sur Stoker, sur Le Fanu, sur Polidori, sur les légendes millénaires qui évoquent les buveurs de sang, révèle l'ampleur du travail de documentation et de recoupement auquel a dû s'astreindre le scénariste, et rend encore plus impressionnante la cohérence de l'ensemble.
D est extrêmement bien dialogué, ça c'est classique avec Ayroles*. Mais il est aussi extrêmement bien écrit (c'est tout aussi classique, mais moins souvent noté car les dialogues vertigineux peuvent le dissimuler), avec une intrigue parfaitement calée qui met en scène des personnages de tous les milieux. On retrouve avec délice ce motif chez Ayroles qui consiste à présenter des héros haut placés dans la société se comporter, sans s'en rendre compte, comme de parfaits connards vis-à-vis de leurs congénères des classes inférieures. Lope et Maupertuis n'étaient pas toujours tendres avec leur compère plébéien Eusèbe.
Ici c'est encore plus fin car le principal héros, Richard Drake, est un aventurier de la petite aristocratie, donc mal considéré parmi les lords et ladies, mais bien au-dessus de la valetaille qui s'agite autour de lui, et il agit comme tel. Et ce comportement n'est jamais explicitement critiqué ou remis en question, l'auteur comptant sur la simple empathie des lecteurs. Ainsi, selon comment on aborde l'ouvrage, on peut le considérer comme un excellent hommage au vampire gothique à l'ancienne avec une belle histoire d'amour faisant fi des conventions, ou comme une mise en scène de la lutte des classes avec une bluette risible entre deux privilégiés. Ou les deux. En tout cas c'est sans doute la série la moins connue de son scénariste, et c'est bien dommage***.
* Rappelons que le monsieur a écrit Garulfo (conte de fées avec Maïorana), De cape et de crocs (cape et épée avec Masbou), Les Indes fourbes (picaresque avec Guarnido), L'Ombre des Lumières (épopée laclosienne avec Guérineau)**, et qu'à chaque fois la qualité du texte fait la pige à Edmond Rostand.
** Il a fait d'autres trucs, mais je ne les ai pas lus. Pas encore.
*** Maïorana a même raccroché ses crayons d'auteur de BD depuis, c'est dire si les temps sont durs pour les artistes.
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