Jeudi soir, j’ai découvert que mon chargeur de portable ne
fonctionnait plus. Je me suis débrouillé vendredi en empruntant celui d’un
collègue, et samedi matin à la première heure je m’en suis allé tout joyeux à
la « boutique Orange », content de constater que, contre toute
attente, elle sert à quelque chose.
Attendez, je vais trop vite. Mes plus jeunes lecteurs ne
comprendront sans doute pas bien.
Voyez-vous, j’ai grandi en des temps reculés où nous n’avions
pas de « téléphones portables ». J’avais dans les vingt ans quand ces
« boutiques de téléphonie » aux jolies couleurs ont commencé à
fleurir un peu partout dans les rues des grandes et moins grandes villes. Et je
me souviens à l’époque m’être fortement questionné sur l’utilité de la chose.
Il faut savoir que durant « l’âge sombre », quand
on avait un téléphone, un avait le téléphone. À la rigueur on disposait
de deux appareils, mais globalement, on ne changeait pour ainsi dire jamais d’ustensile
de sa vie. Ces vieux machins en bakélite étaient indestructibles, sauf à les
balancer sauvagement contre un mur.
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Sérieux, vous pouviez tuer un chat avec ce truc, et il marchait encore. Le téléphone, hein... pas le chat. |
Quand les portables ont commencé à apparaître, et à l’instar
de nombre de mes concitoyens, je ne réalisais pas bien ce qui était en train de
se passer. On allait juste pouvoir se contacter de plus loin. Cool. Mais
pourquoi diable avait-on besoin de trois boutiques de téléphonie dans la
grand-rue de Marmande, en Lot-et-Garonne ? Ils n’espéraient quand même pas
qu’on change de téléphone tous les deux mois ?
Bien sûr je n’avais rien compris à la révolution qui s’amorçait.
Les mobiles, comme vous le savez, ne sont plus appelés « téléphones »
que par nostalgie d’un temps instantanément révolu où ils ne servaient qu’à s’appeler.
Ils sont devenus l’outil du futur, l’indispensable dispositif grâce auquel on
peut désormais tout faire. Ils ont remplacé les carnets de notes, remplacé les
livres, remplacé les consoles de jeu portables, remplacé les Walkman, remplacé
la télévision, remplacé les appareils photo, bientôt ils auront remplacé les cartes de paiement, les clés de
voiture, les télécommandes, les cartes d’identité et tout ce qui peut de près
ou de loin se dématérialiser. Pourquoi pas ? C’est le futur qu’on nous
vend dans toutes les œuvres de science-fiction, je n’ai rien contre.
Reste que nous sommes dans une période de transition, les
portables commencent juste à révéler leur incroyable potentiel, du coup ils
changent sans arrêt. Il nous faut donc nous rééquiper régulièrement. Ça c’est
pour l’argument technologique. Il y a évidemment tout un stock d’arguments
marketing qui soutient tout ça, obsolescence programmée, tous ces vilains mots,
mais je passerai là-dessus, je n’ai pas envie d’être grossier dans ce billet d’humeur.
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Mon phone. Enfin, un comme ça. J'ai mis une image cool dessus, parce que sinon c'est juste un phone. Aucun intérêt, quoi ! |
Tout cela nous emmène à samedi matin, 10 heures, devant la
boutique Orange du centre commercial de la Vache Noire, à Arcueil. Aucun
client, comme prévu, les casse-pieds cuvent encore la défaite de la France contre
l’Allemagne de la veille. Je m’avance donc confiant et explique mon cas :
« J’ai acheté ce téléphone ici même il y a six mois, or
le chargeur ne fonctionne plus. Il est encore sous garantie, j’ai apporté la
facture, pouvez-vous me le remplacer je vous prie ?
—
Euh… non.
—
Plaît-il ?
—
Ben non.
—
Vous êtes en rade de chargeurs ? J’en vois
plein dans vos rayons. Et un ami m’affirmait hier encore qu’ils étaient
désormais “universels”, donc je ne vois pas bien le
problème.
—
En fait si vous voulez faire jouer la garantie,
il faut que vous appeliez Orange directement, et ils vous enverront un
chargeur.
—
Beuh… ? Mais… attendez, si j’appelle
Orange, et que je les ai, et qu’ils acceptent de m’écouter, et qu’ils prennent
mon dossier en charge, et qu’ils décident d’agréer à ma demande et de m’envoyer
un chargeur, je l’aurai au mieux… mardi ? En admettant que le facteur
arrive à faire entrer le chargeur dans ma boîte aux lettres, voire à le confier
aux bons soins de ma gardienne – ce qu’il ne fait jamais, va savoir pourquoi !
—
C’est vraisemblable.
—
Alors que si vous me passiez un chargeur, là,
tout de suite, le problème serait réglé.
—
En effet.
—
J’ajoute que mon téléphone est un Galaxy S4
Mini, et que ces saloperies nouvelle génération ont certes plein d’options
sympas mais se déchargent plus vite qu’un fût de bière dans un bar basque. D’ici
mardi, mon phone nécessitera au moins trois recharges !
—
Tout à fait.
—
Je vais crier, je vous préviens.
—
Allez-y. »
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À quoi sers-tu, mystérieux temple voué aux néodieux ? |
Bon, là j’ai râlé pour la forme, puisque je sais bien que le
pauvre factionnaire n’y est pour rien. Qu’au moins il fasse remonter l’information,
sait-on jamais, un génie de l’audit interne de chez Orange pourrait peut-être
discerner la faille dans cette merveilleuse organisation.
En attendant, ça ne répond pas à ma question : à quoi
elles servent, ces putains de boutiques ? Et pourquoi sont-elles toujours
pleines ?