Ex nihilo Neil

25 juillet 2014

Usul: reloaded


Si vous vous souvenez bien, à l'occasion de la dernière émission du 3615 Usul, j'avais exprimé mon impatience pour les prochaines chroniques d'Usul, youtubeur de talent et plutôt engagé. J'espérais de sa part des pastilles impertinentes et intelligemment documentées, qui feraient réfléchir les jeunes générations à l'image d'un Franck Lepage (et ceux qui me connaissent savent à quel point je suis fan de Lepage). 

J'ai attendu la troisième chronique pour juger sa nouvelle émission, Mes chers contemporains. Attention, ça dure une bonne demi-heure (vous pouvez commencer plus tranquillou avec la première émission sur BHL).




Le fait qu'il cite Franck Lepage et Bernard Friot (que j'ai vus en conférence il y a quelques semaines à peine) n'y est naturellement pas pour rien, mais ma réaction à cette vidéo fut en gros :

Alors je pensais juste vous montrer ça, et vous dire que c'est génial.
Seulement les choses se sont gâtées. Suite à la diffusion de la vidéo, Usul a eu de nombreux retours et s'est fendu d'un long billet sur Facebook. Pour tous ceux qui ne sont pas abonnés au réseau social bleu, voici le texte intégral :

Quand on publie un contenu, quel qu'il soit, on scrute, on attend et on redoute les réactions. Il y a celles qu'on souhaite provoquer et celles qui nous dépassent, que l'on avait pas anticipées, ou que l'on avait mal anticipées et il faudrait être con pour ne pas en tenir compte. D'où ce billet vespéral.

Si j'avais à refaire cette vidéo sur Chouard, je changerais certainement deux ou trois trucs. Je reviendrais notamment sur ce parti pris :

"Si Chouard manque de culture politique, s'il s'est politisé sur le tard, s'il est un poil monomaniaque et qu'il cultive donc des amitiés et des sympathies plus que douteuses, ce que je dis, il a néanmoins à dire des choses intéressantes et qui méritent d'être entendues". En gros, c'est mon angle, je passe sous silence un certain nombre de ses errements pour présenter sous un angle sympathique ses diatribes contre l'élection. Au final, même, je prends le temps de tenter de le dédiaboliser en poussant un peu loin le parallèle avec Chomsky.

Ce qu'on m'a fait remarquer sur les réseaux sociaux, à raison, c'est qu'il y avait tout de même une différence significative entre Chomsky et notre étrange spécimen :
- le linguiste engagé défend une conception radicale de la liberté d'expression sans pour autant soutenir Faurisson
-Chouard, lui, fricote activement avec Egalité et Réconciliation, au point d'aller jusqu'à qualifier leur gourou de "résistant".

Cette différence, je l'avais perdue de vue et merci à ceux et celles qui me l'ont remise sous le nez car elle est de taille.

Je ne parle plus de jeux vidéo, ici, je parle d'idées, mais les idées c'est toujours un peu plus des concepts jetés en l'air: les conséquences de mes approximations ou de mes négligences sont autrement plus pernicieuses. L'association Chouard/Soral, que j'ai minimisée, n'a rien de bon, notamment sur les questions de racisme, de virilisme, d'homophobie, de misogynie. On l'oublie parfois quand on a la chance de ne pas en souffrir, mais ces "idées" tuent, propagent un climat qui fait que certaines personnes se sentent moins en sécurité que d'autres, en raison de leur genre, de leur orientation sexuelle ou de leur couleur. Dire de quelqu'un qui défend des racistes et des réactionnaires de la pire espèce qu'il n'a que "des fréquentations douteuses" et qu'on peut le lui pardonner parce que quand même, il est mignon et qu'à côté, il défend quand même un certain nombre d'idées qui paraissent aller dans le bon sens, je pense que ça n'est possible que quand on ne se sent pas concerné directement par la menace que ces gens là représentent. Chouard laisse la porte ouverte à ces gens là, et les qualifie de résistants...

J'ai été indulgent avec lui, sans doute trop, je m'en suis rendu compte en en discutant longuement avec ma chère et tendre ainsi qu'en lisant plusieurs réactions. Celle de militant-e-s vigilant-e-s, inquiet-te-s de voir que ma vidéo était assez complaisante pour laisser penser que les égarements de Chouard se retrouvaient ici presque pardonnés. J'ai lu également les réactions sur le mur d'Etienne Chouard, qui s'est empressé de partager ma vidéo (qu'il a qualifié de "synthèse bienveillante") : DAMNED, ça pullulait de soraliens et de nationalistes, littéralement, je ne pensais pas qu'il en était là. J'ai lu, enfin, certains commentaires sur YT d'autres soraliens qui me disaient (vous êtes peut être l'un de ceux là) : "allez Usul, viens, t'y es presque, débarrasse toi encore de quelques aprioris sur notre mouvance et tu es digne d'être l'un des nôtres".

Tout ça a fait que j'ai fini par me dire... "merde". Y'a un truc que j'ai dû faire de travers. Pour que des militant-e-s progressistes, féministes, dont je soutiens pourtant chaque prise de position, trouvent que j'ai raté le coche, c'est que quelque chose m'a échappé.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'on peut penser efficacement par soi-même, je ne me laisse pas berner non plus par tous les commentaires élogieux que j'ai reçu suite à cette vidéo. Penser juste, c'est souvent penser contre soi et on ne pense pas bien contre soi en n'écoutant que soi. Internet a ceci de formidable qu'il nous permet de nous écouter, de nous corriger les un-e-s les autres, d'apprendre et de se remettre en question. La question est : qui écouter?

Etienne Chouard, à force de vouloir écouter tout le monde, a fini par se fâcher avec pas mal de ceux et celles qui auraient pu le soutenir : à voir la fréquentation de sa page, je me dis que s'il y avait eu ici, un jour, des progressistes éclairés, ils se sont fait la malle pour laisser la place à pas mal de drôles d'oiseaux auxquel-le-s on aimerait qu'il ne puisse pas servir d'alibi. Du coup Etienne, si tu repasses par là (car tu es passé ce matin quand j'étais bienveillant) sache que tes prises de position te rendent de moins en moins défendable et, de fait, de moins en moins audible.Tu te plantes en gardant sur ton site un lien vers E&R, les militant-e-s que tu rameutes comme ça ne sont pas ceux/celles dont tu as besoin si tu as pour ambition de favoriser une société égalitaire et éclairée. J'avais mis ces erreurs sur le compte de ton égarement, en me disant que tu ne te rendais pas vraiment compte de ce qui était en jeu, que ta stratégie était certes boiteuse, mais pouvait se comprendre, aujourd'hui je me dis juste, comme bien d'autre, que si tu persistes à cultiver ces sympathies c'est que tes erreurs de jugement n'en sont peut être pas, ou qu'elles ne sont pas des erreurs pardonnable. Être écoutés comme nous le sommes nous donne un certain nombre de responsabilités.

Pour finir, si j'avais, aujourd'hui, à refaire cette vidéo, je serais sans doute plus dur dans mon jugement. J'ai foiré, on ne m'y reprendra plus.

Bonne soirée !



Quand j'ai lu ça, j'ai été bien embêté. D'abord parce qu'Usul me semblait baisser son pantalon face aux critiques. Mais il me faut bien reconnaître que je ne connais pas Étienne Chouard, et les critiques qui lui sont adressées sont peut-être justifiées.
J'étais embêté aussi parce que, je le reconnais, j'ai une tendance malheureuse à la vénération. Ça vient sûrement d'un truc quand j'étais gosse, voilà, j'aime avoir des gens que j'admire, que j'arrive à imaginer parfaits, pour répéter benoîtement ce qu'ils me disent. C'est un défaut que je me connais, et je m'astreins à le corriger.

Mais ça m'a fait mal de voir Usul reconnaître qu'il s'était trompé. Plus mal que je ne l'aurais cru.

Pourtant je ne suis pas si sûr qu'il se soit trompé. Ce n'est pas parce que quelqu'un a des amis discutables que tout ce qu'il dit est à jeter. Ce n'est pas parce que quelqu'un glisse que tout ce qu'il a fait ou dit avant, ni même pendant, est à balancer aux orties. Ce n'est pas parce qu'Étienne Chouard "pactise" avec Soral qu'il n'a aucun intérêt. Et ce n'est pas parce qu'Usul enjolive Chouard que son documentaire devient nul et non avenu.

Peut-être Usul aurait-il dû être plus dur dans son analyse. Peut-être pas. Après tout, pour ne pas se tromper, il n'y a qu'un principe, bien connu chez les experts officiels de la télévision : il suffit de dire tout et son contraire. Internet a l'avantage d'éviter ce genre de bassesse, parce qu'il y aura toujours un petit malin pour aller déterrer des incohérences.

Toujours est-il que j'aime cette nouvelle émission. Il y a de la réflexion, de la finesse, du recul, de la pertinence, des références. Et surtout, Usul permet à toute une frange de la population de découvrir d'autres pensées que celles véhiculées par ces mêmes médias dominants. C'est ce à quoi devrait servir Internet. Alors peu importe sa reculade étrange, Usul reste pour moi une lueur d'espoir au milieu des lolcats.
Ah, et si ça vous plaît (et si vous êtes allés jusqu'au bout de ce long billet d'humeur sans humour), vous pouvez aussi l'aider à se passer de pub.

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