Ex nihilo Neil

29 juin 2011

Neil, Jayma, Hank, qu'est-ce qui vous a pris ?




Ils... se cognent... c'est le seul gag que les scénaristes ont trouvé. Ils se cognent. A des trucs. Et c'est censé être drôle. Ils se cognent. Et ils disent "smurf". C'est ça l'humour. Je... je... aaarrgh...

27 juin 2011

Tribute to... Georges Chaulet


Je viens de lire Sa Majesté des Mouches.
Vous allez me dire : "Super, c'est un bon bouquin, mais quel rapport avec Fantomette ?"
Eh bien, d'un point de vue littéraire, le rapport est assez ténu, je vous l'accorde. D'un point de vue personnel aussi, mais un peu moins.
Sa Majesté des Mouches est un livre que l'on lit traditionnellement à l'école, au plus au collège. Si, arrivé au lycée, vous ne l'avez toujours pas lu, il y a de fortes chances pour que ça n'arrive jamais (vous privant d'ailleurs d'un putain de bon bouquin).
Or je ne l'ai pas lu au collège, je viens de le faire, à trente-deux ans. Et si je ne l'ai pas lu au collège, c'est que je ne lisais pas de "vrais" livres à l'époque. Pas plus qu'au lycée d'ailleurs (où je ne lisais que mes cours). Je me suis mis à la "vraie littérature" à partir de la fac (en commençant, oserais-je l'avouer, par H. P. Lovecraft). 
Et avant, du CE2 à la troisième, je m'enfermais dans la bibliothèque pour enchaîner les bandes dessinées et les bibliothèques verte (Les Six Compagnons, Langelot...) et rose (Fantomette, donc).

J'adorais Fantomette. C'était simple, c'était dynamique, c'était instructif et c'était une fille. Une fille forte, qui ne passait pas son temps à se maquiller et à parler chiffons, qui réfléchissait et ne s'en laissait pas compter. Avec le recul, on peut trouver beaucoup de choses dans l'œuvre de Georges Chaulet, notamment un certain féminisme. Et puis Fantomette, c'était la liberté (pas de parents) et la prise de responsabilités (protéger son prochain, prendre parti, faire de son mieux). Une vraie leçon de citoyenneté en fait.
C'est dingue tout ce qu'on trouve dans la littérature jeunesse quand on cherche un peu.

Bon, en même temps, Chaulet scénarisait Les Quatre As, parmi lesquels la fille servait essentiellement à trembler de peur pendant que les mecs résolvaient les enquêtes. Mais bon, ça va quoi !

24 juin 2011

Vivent les mariés !

Il y a de cela quelques années (en janvier 2009, précisément), j'avais conté la merveilleuse rencontre de Lise et Nono (alias, pour ceux qui suivent Les Prétendants d'Elya, Vallach', marquis de Veynes). 
Comme ils convolent demain en justes noces, je me sens obligé de publier le dessin de faire-part qu'ils m'ont contraint d'exécuter (parce que nous inviter au mariage, ça, non, on peut crever, pas un grain de riz, mais des dessins gratos, alors là y a du monde !).
Enfin, tous mes vœux, tout ça, hein.

22 juin 2011

La malédiction du tékitoi




Anecdote angoumoisine parfaitement authentique, quoique remontant un peu.
J'en profite pour faire un peu de pub pour mes amies dessineuses bordelaises : les sites de Marion et de Pops.

20 juin 2011

Greek birds

Depuis quelque temps on peut trouver dans tout Paris une affiche pour ça :


Moi, je dis : "What the fucking fuck?"

Mais bon, après tout, y a peut-être un créneau à prendre.





17 juin 2011

Les Prétendants d'Elya (4)

Quatrième chapitre, où nos héros investiguent avec une certaine vigueur dans les tréfonds de la cité.


Enquête en aveugle

De retour, chacun alla se présenter au chef de sa caste afin de prévenir du danger. Galaad et Pelenor demandèrent à tous les protecteurs de la ville de se renseigner sur les convois, avec en particulier pour les gardes en faction devant les portes la consigne expresse de nous prévenir sitôt qu’un attelage chargé de jarres gravées de runes passerait les limites de la ville.
Aléthéïos et Azyel prévinrent le chef de la puissante caste des Mages, qui se montra très préoccupé par la nouvelle. J’informai naturellement les prodiges des derniers événements, mais aucun n’avaient entendu parler de tels maléfices.
Quant à Vallach’, n’ayant pas de chef à prévenir, il passa l’après-midi à traîner dans les rues et les palais en quête d’un portrait de la princesse afin de ne plus se tromper la prochaine fois qu’il la croiserait. Mais les portraits de la famille royale n’étaient pas si nombreux que cela et il ne put en trouver un seul.

Le soir, nous nous retrouvâmes devant un repas frugal pour certains, plantureux pour d’autres. Les discussions dans l’auberge étaient essentiellement axées sur l’arrivée du nouveau prétendant, le fils du duc d’Olanie, un bon parti que chacun décrivait comme fort, beau, sympathique et charismatique, ce qui mettait bien sûr Vallach’ d’humeur massacrante. Mais la journée avait été par trop épuisante et riche en émotions pour que nous prêtions attention à ses jérémiades, et nous allâmes bien vite nous coucher.

Le lendemain, nous nous répartîmes les tâches afin de gagner du temps. Vallach’ et moi recherchions où les agresseurs des portes avaient pu se procurer du chloroforme pendant que Galaad et Azyel se renseignèrent auprès des gardes du palais au sujet de la poterne qu’avait empruntée la supposée princesse pour rentrer. Après tout, celle-ci n’était toujours pas hors de cause. Pelenor, de son côté, alla traîner du côté du port afin d’en apprendre plus sur les récents incidents, qui étaient peut-être liés au transport des jarres.

De fait, le recueil d’information fut assez court. Vallach’ alla demander du chloroforme dans les trois boutiques de la ville autorisées à en vendre (mais pas, naturellement, à des particuliers débarqués d’on ne sait où) et fit chou blanc sur chou blanc. Chaque apothicaire se rendit presque immédiatement auprès d’une caserne de protecteurs pour signaler l’infraction, témoignant ainsi de sa bonne foi.
Le soir, les rapports se firent devant un verre à la taverne : Galaad avait appris des gardes que les notables du palais empruntaient parfois la poterne pour sortir incognito, ce qui ne prouvait pas grand-chose, en dehors du fait que notre mystérieuse noctambule était effectivement de bonne famille. Il signala également qu’un des gardes avait observé, il y a quelques nuits de cela, une étrange forme dans le ciel, comme un grand oiseau. Comme elle était passée très vite et qu’il avait bu un verre ou deux, il avait préféré ne pas la signaler, mais il semblait certain d’avoir bien vu.
« Ceci coïncide avec une de mes découvertes, lança Aléthéïos en posant un objet sur la table. Il s’agissait d’une grande plume d’un blanc immaculé. J’ai trouvé ceci sur un toit, près du château. Je recherchais des faiblesses possibles dans la protection des lieux, mais il n’y en a aucune. Fini les sérénades, Vallach’, si tu veux entrer dans ce palais il faudra voler. Au fait, Fagus, tu vois de quel oiseau il peut s’agir ?
— Voyons… C’est manifestement une rémige, les rectrices n’ont pas cette forme totalement asymétrique… Sans doute une extérieure, vu la taille… Quoique… Non, les barbillons croisés et la longueur de la hampe indiquent sans conteste qu’il s’agit d’une interne… Impossible, un animal pareil mesurerait dans les trois mètres d’envergure ! Aucun taxon aviforme du secteur ne peut atteindre une taille pareille.
— Qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Pelenor, le front plissé par l’effort.
— En gros, il sait pas ce que c’est.
— Ah, d’accord.
— Oui, bon, Pelenor, qu’as-tu trouvé ?
— Et bien, après une longue investigation dans tous les bars du port, j’ai fini par me faire expliquer que deux bandes rivales se mènent actuellement une guerre acharnée pour le contrôle de la ville. Pour simplifier, y a les petits jeunes qui montent, c’est la bande de Gorak le Borgne, et les vieux qui baissent, ce sont les Fils de Durik. Les autorités observent des règlements de compte toutes les semaines, le fleuve n’en finit plus de charrier des cadavres de malandrins criblés de flèches, que les protecteurs classent en général dans les cas de suicides.
— C’est charmant, et cette fierté professionnelle les honore, mais en quoi cela peut-il se raccorder à notre enquête ? fis-je.
— Apparemment, la situation est récente, poursuivit le chevalier, nonobstant ma remarque. Gorak le Borgne ne s’est réveillé que depuis un mois, avant il ne faisait pas d’histoire. Tout d’un coup, il a voulu prendre le pouvoir.
— Tu vas rire, mais je ne vois toujours pas le rapport.
— J’y viens : depuis que Gorak fout sa merde, c’est le bordel sur le port, du coup les dockers se font parfois sucrer leur boulot. Par exemple, il y a quelque temps, un navire est arrivé et le capitaine a tenu à faire décharger et recharger sa cargaison par ses propres hommes.
— On le comprend, avec ces gredins qui traînent. Je ne saisis toujours…
— Sa cargaison de jarres.
— Ah.
— De jarres avec des runes dessus.
— D’accord.
— Sais-tu à qui appartenait le bateau ? intervint Aléthéïos.
— Non. Tout ce que je sais, c’est qu’il s’agit d’un bateau de type jasporien.
— Tiens, tiens, tiens… Et le prince Argen de Jaspor, qu’est-ce qu’on sait sur lui ? demanda Azyel.
— C’est un beau parleur et un sacré marchand. Mais il a une réputation d’honnêteté et certainement pas d’humaniste, répondit Vallach’, très au fait des bruits courant sur ses rivaux.
— L’argent n’a pas d’odeur… Si le bateau lui appartient…
— Ne nous emballons pas. Jaspor est juste en face, à quelques milles de la côte. Des centaines de bateaux jasporiens mouillent au port, intercéda Aléthéïos.
— Par contre, le prince Argen a loué un entrepôt sur les quais, poursuivit Pelenor. J’ai jeté un coup d’œil, c’est bien gardé.
— Impeccable ! On ira y faire un tour cette nuit, histoire de voir ce qu’il a à cacher, suggéra Galaad.
— Donc tu penses qu’Argen aurait payé Gorak le Borgne pour qu’il cause des ennuis sur le port afin de pouvoir décharger personnellement sa cargaison sans attirer les soupçons ? Cette thèse semble un tout petit peu capillotractée, non ? fis-je.
— On peut aller prendre les renseignements directement à la source, si tu veux, proposa Pelenor. J’ignore où vit Gorak, mais je sais où on peut le trouver : une petite taverne sur le port. Il a quelques gorilles, mais rien qui nous fasse peur, pas vrai les mecs ? »
Azyel et Galaad eurent un regard mauvais, Aléthéïos garda son air amusé et Vallach’ et moi échangeâmes un coup d’œil. Ce soir, c’était la foire au bourrin.

Nous étions cinq devant la taverne où Gorak le Borgne devait se trouver. Vallach’ s’était rapidement assuré que nous n’avions pas besoin de lui et était parti surveiller le palais afin de repérer si la princesse tentait une escapade.
Nous avions convenu d’un plan subtil qui, selon moi, devait limiter au maximum le nombre de blessés potentiels, voire de morts violentes. Aléthéïos allait entrer, repérer Gorak et lancer sur lui un sort de contrôle mental qui lui permettrait de le faire agir à sa guise. L’attirant dehors, il le mettrait alors sous notre coupe. Si les gorilles tentaient une sortie ils en assumeraient les conséquences, mais en la jouant fine et en faisant croire que Gorak était malade (excès de boisson), on pourrait s’en tirer avec un seul malabar à endormir.
« Mais dis-moi, le contrôle mental, tu es sûr que c’est un sort des rêves, ça ? » demanda Azyel, l’air peu conciliant.
Aléthéïos sourit brièvement, et reconnut qu’il « avait un peu développé ses arts en dehors de la sphère des rêves, afin d’être plus efficace ». Il faisait cependant très attention car on a vite fait de sombrer dans les affres du fatalisme.
Azyel le laissa aller, mais il était évident que sa confiance en Aléthéïos, déjà toute relative, s’étiolait à grande vitesse.
Je me postai à une fenêtre et observai l’intérieur de la taverne. Gorak était immanquable, quoique dans un coin sombre. Cinq types du gabarit de Pelenor l’entouraient, sans que cela ne ralentît le pas de notre mage. Celui-ci fila droit vers le bandit et le scruta intensément. Mais contrairement à ce que j’attendais, c’est son expression qui changea, passant par la surprise, la peur (mais très peu de temps) et retournant à son habituelle lassitude amusée.
Gorak lui dit un mot, il répondit brièvement. Comme les malabars se levaient et commençaient à l’encercler, je sentis plus que je ne vis la goutte de sueur glisser sur sa tempe, malgré son air blasé. Nous entrâmes alors, prêts à la bataille.
Mais si Gorak ne nous accorda pas un regard, celui d’Aléthéïos nous figea sur place. Un regard qui signifiait, en gros : « NE BOUGEZ PAS ! Je gère, mais venez pas faire chier ! »
Leur conversation reprit.
« Vous êtes au courant pour le Fléau ? Cela ne vous gêne pas de participer à son exportation ?
— Bah, le Fléau, c’est ennuyeux, mais après tout, on meurt tous un jour, hein ? Pour l’heure, je ne suis pas responsable de ces convois. Vous enquêtez là-dessus peut-être ?
— On ne peut rien vous cacher. Pourquoi avoir choisi cette enveloppe ?
— Oh, c’est vous qui le demandez ? Il faut bien que les choses avancent. Place aux jeunes, faut qu’ça bouge que diable ! Et pour bouger, ça va bouger d’ici peu dans le coin. Vous êtes au courant, j’imagine…
— Bon… Ben, si vous n’y êtes pour rien, on va pas vous déranger plus longtemps, hein… »
Aléthéïos fit mine de sortir et, d’un signe, Gorak ordonna à ses hommes de main de le laisser passer. Pour la première fois, il nous regarda, son œil unique nous transperçant jusqu’à la moelle. Au point que Galaad, en sortant, murmura un petit « Merci monsieur ».

« C’était quoi ce délire ? Comment il a résisté au contrôle mental ? C’est qui ce type ?
— C’est un dragon de la fatalité. »
Nous restâmes sous le choc devant l’énoncé d’Aléthéïos.
« Il a pris le contrôle de Gorak il y a un mois, croyant avec raison que des choses allaient se passer dans le coin. Mais il n’est pour rien dans le trafic du Fléau. Même les féaux de Kalimsshar[1] craignent la lèpre des immortels. Mon père m’a souvent parlé d’un dragon de la deuxième génération après Kalimsshar qui l’avait aidé à venir à bout de…
— Une seconde ! intervint Azyel, assez remonté. Tu manies les sortilèges de la fatalité, tu dialogues avec des dragons de l’ombre, tu connais le Fléau… Ça suffit comme ça ! Qui es-tu exactement, Aléthéïos ? »
Le mage des rêves se tourna vers Azyel, l’air toujours aussi blasé. L’atmosphère s’était soudain rafraîchie. Peu d’entre nous doutaient encore de l’affiliation directe d’Azyel avec l’Inquisition des protecteurs. Et aucun n’était assez naïf pour ne pas avoir compris qu’Aléthéïos avait fait plus d’une incursion dans la sphère du fatalisme. Mais le radicalisme du premier allait peut-être signer la fin de notre petite coterie.
« Eh bien, je suis… tiens, qu’est-ce qui se passe ici ? »
Effectivement, chemin faisant nous étions arrivés au niveau de l’entrepôt du prince de Jaspor, siège d’une activité aussi intense que nocturne. Des gens transportaient des caisses en dehors du bâtiment et les chargeaient sur un chariot qui les emportait vers le port.
« Aléthéïos, tu peux faire tomber une de ces caisses à distance ? demanda Pelenor.
— Je comprends… Vas-y, je m’en occupe. »
Pelenor s’avança vers la file, sans même essayer de dissimuler sa masse imposante. Alors qu’il passait près d’un docker, Aléthéïos lança un sort mineur qui fit faire un faux pas au porteur. La caisse tomba et s’ouvrit, libérant un véritable fagot d’épées. Pelenor s’approcha et proposa son aide au malheureux. Il revint vers nous quelques minutes plus tard : « Il s’agit d’une commande au prince Argen d’un marchand de Solyr. Ils transvasent le chargement d’un bâtiment à l’autre parce qu’Argen en a marre de payer la location.
— Une commande ? s’exclama Galaad. Il y a là de quoi équiper deux à trois cents personnes !
— Mouais… Il faudra se renseigner sur ce marchand, cette histoire n’est pas nette. Allez, on rentre, il se fait tard.
— Mais… Mais… Aléthéïos… bafouilla Azyel.
— Tout le monde s’en fout, Azyel. Va dormir ! »

Le lendemain, Vallach’ arriva avec un grand sourire à table pour le petit déjeuner. Il nous raconta, avec force détails, qu’il avait surveillé le palais toute la nuit, jusqu’à ce qu’il eut vu deux jeunes filles encapuchonnées en sortir par la poterne. L’une d’entre elles se dirigeait par les toits vers l’auberge où était hébergé le duc d’Olanie, principal rival de notre faisan préféré.
Ni une ni deux, notre ami s’était précipité dans cette direction, avait gravi la façade (non sans quelques difficultés, comme en témoignaient les nombreux accrocs sur son haut-de-chausse) et retrouvé la belle sur le toit. La description de celle-ci correspondait assez bien à la jeune fille que nous avions rencontrée quelques jours auparavant. Il lui avait proposé un verre qu’elle s’était empressée d’accepter, avait bavardé avec elle des heures et des heures de sujets passionnants (même s’il était incapable de nous en citer un seul) et avait fini par lui proposer de la revoir le lendemain au soir, afin de lui confier un cadeau pour la princesse.
« Comment ? Il ne s’agissait pas de la princesse ? demanda Galaad, intéressé.
— Ben… En fait j’en suis pas sûr. C’est que… » mais Vallach’ fut interrompu par nos éclats de rire. Difficile de réprimer un fou rire quand, après une heure de récit romantique, le conteur vous avoue qu’il ne savait toujours pas qui il avait tenté de séduire.
« Mais arrêtez ! Je voudrais vous y voir, aussi… C’est vachement dur à caser dans une conversation !
— Tu me sembles bien parti mon ami… déclara tout à fait sérieusement Aléthéïos (il était du reste le seul à ne pas rire).
— Tu le penses vraiment ? demanda Vallach’, exprimant notre pensée à tous.
— Bien sûr. Qu’il s’agisse de la princesse ou d’une de ses proches, tu as marqué des points importants. N’oublie pas qu’elle n’est pas supposée rencontrer de prétendants avant la semaine prochaine. Toi, elle te connaît déjà, et même si seulement le quart de ce que tu nous as dit est vrai, elle semble plutôt t’apprécier. Cette histoire pourrait bien ménager un dénouement inattendu.
— Merci, c’est bon d’avoir quelqu’un qui croit en soi » répondit Vallach’, nous toisant du regard alors que le discours d’Aléthéïos nous avait calmés. Nous le regardâmes en retour, et explosâmes de rire à nouveau, hilares devant son air supérieur.
« Ouais, ouais, ben comptez pas sur moi pour vous inviter au château quand je serai roi. » Ce qui n’eut comme de juste pas d’autre effet que de redoubler nos crises de rires.
« Ah, au fait, j’ai quand même appris un truc intéressant : on a retrouvé des plumes sur le balcon de la princesse. »
La nouvelle nous calma un peu (enfin, Pelenor et Galaad se tenaient toujours douloureusement les côtes) et nous nous interrogeâmes de nouveau sur ces grandes plumes blanches.
« Peut-être un des prétendants a-t-il apporté son zoo personnel afin d’impressionner la princesse, proposai-je. J’irai me renseigner dans la cour du château tout à l’heure, on ne sait jamais. Le petit personnel en sait souvent plus qu’on ne le croit.
— Mouais. Il utilise peut-être un pélican géant pour effectuer ses visites nocturnes à la princesse », suggéra Galaad entre deux hoquets avant de replonger illico dans un fou rire nerveux, assisté de Pelenor.

La matinée fut employée par les protecteurs à se renseigner sur le marchand qui avait acheté les épées à Argen de Jaspor. Il s’agissait apparemment d’un proche du comte de Falonie, donc intouchable tant ce dernier avait bonne réputation.
Mon enquête sur un éventuel zoo transportable ne donna rien : il semblait que chaque rival de Vallach’ n’avait apporté que le strict nécessaire, sans luxe de panache.

En début d’après-midi, les choses s’accélérèrent brutalement.

Deux protecteurs vinrent nous prévenir qu’une cargaison de jarres gravées de runes venait de passer les portes de la ville en direction de la forêt. Nous nous précipitâmes dans la première caserne, où Galaad réquisitionna un attelage. Pelenor et Azyel montèrent chacun leur cheval, et notre troupe au grand complet partit à l’assaut du convoi.
« On fait comment ? On les laisse aller là-bas et on les cueille devant la colline ? Après tout on sait où ils vont, on n’est pas obligés de se presser… » criai-je à Pelenor depuis l’attelage.
Celui-ci émis un grognement, suivi d’un très explicite : « Conneries ! On les rattrape et on les fait parler !
— Il faudrait peut-être un plan de secours, au cas où… » fis-je, plein d’espoir.
Azyel établit les bases du plan : « Plan A : Arrêtage des bœufs. Plan B : Bœuf ! »
Tout en discourant de ces cruciales questions de stratégie, nous arrivâmes en vue du modeste char traîné par un potame placide. Cinq individus l’encerclaient, tous encapuchonnés de gris, sans doute pour passer inaperçus dans les bois (?).
Alors que je me demandais comment allait s’opérer l’attaque, étant donné la présence fort probable d’arbalétriers du côté des opposants, Azyel sembla péter un plomb. De son gantelet maintes fois enchanté, il fit jaillir deux boules de feu de la taille d’une pastèque qui filèrent droit sur deux des gardes, les incinérant intégralement en quelques secondes. Comme un des survivants se retournait, il fut grillé sur place par un troisième projectile enflammé.
« Prenez ça, les humanos ! Allez, approchez, messire Azyel, mage de Brorne et de Kroryn, aurait deux ou trois mots à vous dire !
— Mais qu’est-ce qui lui prend ? m’exclamai-je. Hé, messire du kebab, on se calme, il nous faut quelques survivants à interroger… »
Mais le mage semblait pris de frénésie, tout à sa haine envers les humanistes qui n’avaient même pas eu le temps de sortir leurs arbalètes de sous leurs capes. Il préparait un nouveau sortilège quand soudain son regard s’enflamma (si j’ose dire) encore plus. Il baissa les bras, sans que ce geste ne soit rassurant. Défouraillant soudainement son épée, il s’exclama :
« Non, vous n’êtes pas digne de ma magie. Je m’en vais régler votre compte à coups de lame rédemptrice. Laissez passer le purificateur ! Je m’en vais nettoyer cette vermine du dos de Moryagorn ! Je vais… »
Azyel s’était soudain figé sur place, laissant sa monture décider du choix de la direction. Celle-ci, sans doute familière des délires génocidaires de son maître, préféra se ranger aux côtés de notre attelage. Je remarquai alors la main tendue d’Aléthéïos, dirigée vers Azyel alors que son front était plissé d’une ride d’effort. Il exerçait de toute évidence un contrôle mental puissant.
« Désolé, mon frère, mais nous avons besoin de ces gens. Je te libèrerai quand tu te seras calmé, dit-il d’une voix tranquille alors qu’une goutte de sueur perlait à son front. Galaad, il faudrait aller s’occuper du chariot. Tu frapperas Azyel plus tard…
— Maieuh ! » fit Galaad, très occupé à s’essuyer les bottes sur la tunique de son « ami » protecteur.
« Il se souviendra de tout ce qui lui sera arrivé pendant le contrôle mental ! » prévint Aléthéïos, ce à quoi Galaad répondit en s’éloignant du mage et en chargeant le convoi.
L’affaire fut vite entendue, les humanistes, dont le nombre avait déjà été lourdement amoindri par la furie d’Azyel, n’avaient pas une chance face à Pelenor et Galaad.
Nous récupérâmes les deux vaincus et l’interrogatoire commença :
« Qui êtes-vous, qui vous a envoyés ? »
Ce à quoi les prisonniers, bien qu’impressionnés par la carrure de Pelenor, ne répondirent rien.
« Très bien, mes gaillards, on va vous emmener à la caserne des protecteurs, là-bas on trouvera bien un moyen de vous délier la… » mais Galaad fut interrompu par un cri inhumain déchirant la plaine. Aléthéïos venait de libérer Azyel de son contrôle mental.
« Enfoiré de mage noir de mes couilles, héraut du fatalisme, chiure de Kalimsshar, résidu de pulpe de Syrass fermenté, je vais t’atomiser !
— Ça suffit Azyel ! Aléthéïos a agi avec notre consentement à tous ! Tu allais compromettre gravement l’aboutissement de cette enquête ! » s’exclama Galaad sur un ton de commandement extrême. Azyel se raidit :
« Cet individu s’est rendu coupable de magie fataliste à l’encontre d’un dignitaire de l’Inquisition. J’exige son arrestation immédiate. Officier, j’attends. »
Il toisait Galaad d’un air nettement impérieux, attitude facilitée par le fait qu’il mesurait une bonne tête de plus. Le protecteur ne semblait toutefois pas apprécier la situation outre mesure.
« Écoute-moi bien, mago de seconde zone. Tu n’es pas mon supérieur dans cette affaire. Je ne suis pas un fan de Kalimsshar moi non plus, mais pour l’instant Aléthéïos nous a été d’une aide précieuse, et cela me suffit. Je juge les gens sur leurs actes et non sur leurs croyances, et je te suggère d’en faire autant à l’avenir.
— Galaad, tu es un très bon officier et un grand protecteur, mais ta confiance t’aveugle. Les fatalistes ont toujours plus d’un but, et s’ils aident parfois les serviteurs des Grands Dragons c’est pour mieux les leurrer par la suite. Ce sont des manipulateurs, qui ne servent que leurs noirs desseins, et nous devrions nous en débarrasser avant qu’il ne…
— Vos gueules ! C’est quoi, ça ? »
Si je les avais interrompus aussi brutalement, c’était à cause d’une impression bizarre mais persistante qui titillait mon lobe frontal depuis un moment déjà. La même impression de colère que quand nous marchions en forêt, mais plus concentrée, et si possible plus puissante. Et surtout qui se rapprochait.
« Qu’y a-t-il, Fagus ? » demanda Vallach’.
Nous étions en vue de l’orée de la forêt et nous vîmes tout à coup une flopé d’oiseaux s’envoler de la canopée dans un grand cri rauque. De la poussière s’envolait du sous-bois tandis que des arbres semblaient s’écrouler sur le passage de… quelque chose.
« Fagus… Qu’est-ce que c’est ?
— Le nom précis, je ne sais pas. Mais c’est gros, c’est très en colère, et ça file grosso modo vers la cité…
— Mais… entre la cité et la forêt, y a nous…
— Fichez le camp ! hurlai-je en me précipitant vers la colonne de poussière qui s’agitait vers le ciel. Rentrez à la ville et prévenez les gardes !
— Et toi, où vas-tu ?
— Je ne peux pas laisser cette créature finir comme cela sans essayer de la raisonner ! Tu sens sa colère, non ? Elle est innocente, elle ne mérite pas de mourir ce soir !
— Tu es complètement fou, prodige ! » s’exclama Pelenor en montant son cheval. Et au lieu de partir vers la ville avec les autres, il m’emboîta le pas et me prit en croupe. Nous galopâmes ensemble vers la forêt.
Mais arrivés juste devant l’endroit où la créature devait apparaître, nous fûmes surpris par sa sortie bien plus rapide que je ne l’avais prévu. Elle jaillit du bois, envoyant bouler des arbres de tous côtés. Elle était gigantesque. On eût dit une immense larve d’insecte, probablement blanchâtre à l’origine mais présentement recouverte d’un tapis de végétation qui devait au repos lui donner l’apparence d’un tertre herbacé. La tête titanesque était couverte de grands yeux ronds de tailles diverses, brillant d’un rouge malfaisant, et entourés vers la base d’une multitude de tentacules s’agrippant au sol, creusant, gesticulant en tous sens. Comme elle arrivait droit sur nous sans nous voir, je hurlai à Pelenor de se déporter sur un de ses flancs.
« Que comptes-tu faire ? Ce monstre est parti pour détruire Elya, et tu n’y pourras pas grand-chose !
— Essaie de stabiliser le cheval à ses côtés. »
Et m’aidant de l’extrémité fourchue de mon shaaduk’t, à l’origine prévue pour s’agripper aux écailles des dragons, je m’accrochai aux flancs de la créature et sautai sur son dos. La progression était difficile, mais je réussis à atteindre le sommet et à m’assurer une prise solide. Une fois en position près du quatrième métamère, je me concentrai et tentai d’atteindre l’esprit du colossal insecte afin d’entrer en empathie.
Je ressentis aussitôt une grande colère, pire encore que celle qui faisait vibrer l’air alentour. La créature était folle de chagrin, à cause du dragon de la nature mais aussi et surtout de la fameuse jeune fille brune de la forêt. Elle y semblait follement attachée, comme toutes les créatures vivant dans le bois. Je compris alors que ce point n’était pas négociable : il nous fallait retrouver cette femme. Et vite. Concentrant mes efforts, j’essayai de négocier un délai. Nous allions tout faire pour satisfaire la forêt, mais nous avions besoin de temps. Si des humains avaient enlevé la jeune fille, comme la larve semblait le croire puisqu’elle visait la cité, il nous serait possible de les pister. Mais il nous fallait du temps.
Soudain je perçus un changement subtil dans ses émotions. J’eus alors la vision d’une lune pleine dans un ciel de jais. Le titan ralentit, puis fit demi-tour et commença à s’enfoncer sous terre en creusant avec ses tentacules. Comme j’arrivais au niveau du sol, je sautai à terre et saluai la créature comme il se devait.
Pendant qu’elle s’éloignait, Pelenor arriva au galop derrière moi.
« Eh ben franchement j’y croyais pas ! »

Nous rentrâmes à la ville et, contrairement à nos attentes, nous ne la trouvâmes pas prête à soutenir la charge d’une larve de vingt mètres de haut. Nos camarades, tout à leur interrogatoire, avaient simplement oublié de prévenir la garde.
Nous les rejoignîmes à la caserne des protecteurs où ils nous firent grand accueil :
« Ah, vous voilà. Alors, Pelenor, t’as charcuté la grosse bébête ? demanda Galaad en souriant.
— Personne n’a massacré personne ! m’exclamai-je. Cet animal est une des plus anciennes créations d’Heyra et personne ne lui fera de mal tant que je serai là. »
J’avais essayé d’être convaincant, et je pensais chaque mot, mais Galaad se contenta de répondre :
« Ah, tu as réussi à la raisonner. C’est bien.
— Pas tant que ça. Elle nous laisse jusqu’à la pleine lune. C’est la semaine prochaine. D’ici là, il faut à tout prix retrouver la fille de la forêt. Vous avez une idée d’où elle peut être ?
— On s’y emploie, Fagus, on s’y emploie. » commenta sobrement Vallach’.
Je remarquai alors les deux prisonniers, attaché chacun à une chaise. L’un avait une profonde blessure dans la cuisse droite et semblait s’être évanoui de douleur. L’autre arborait une mine plutôt réjouie, du genre à avoir un peu abusé des champignons de Nenya…
« Mais qu’est-ce que vous leur avez fait ?
— Ben on les a interrogés. Celui-là, c’est le mien, dit Galaad en désignant le blessé. Il nous a pas appris grand-chose, mais c’est pas parce qu’il voulait pas, hein, c’est surtout qu’il savait rien.
— Mais alors pourquoi l’avoir torturé ?
— Ben, pour faire parler l’autre. Mais c’est un coriace, alors Aléthéïos lui a lancé un sort d’amnésie sélective, ou un truc comme ça… Explique-z’y, moi j’ai pas tout pigé…
— Euh… Disons qu’en gros je lui ai fait oublier un certain nombre de repères, sans toucher à la partie de sa mémoire qui nous intéresse. C’est pas évident, mais on peut considérer que je lui ai fait croire que j’étais son ami et qu’il devait tout me dire.
— Et ça a marché ?
— Plutôt bien. On a l’adresse de la planque des humanistes, dans le quartier des Voyageurs. Il s’agit d’une petite cellule de contestation contre l’autorité draconique. Ils ont juste pour mission de récupérer du Fléau, ils ne savent même pas ce que c’est exactement. Leur contact est un monsieur R, apparemment un grand type, carré, avec une tête ronde, des cheveux et un collier de barbe noirs et une cicatrice du front à la joue qui passe par un œil.
— Ça fait très cliché je trouve[2].
— Il nous a donné son adresse, mais ça a été dur.
— Et la fille ?
— J’y viens… Dis-moi mon ami… »
L’homme se retourna vers Aléthéïos, l’air complètement abruti. Il articula un bruit qui sonnait comme : « Copain ?
— Oui, je suis ton ami, le genre qui est près de toi lors des moments difficiles. Dans pas longtemps, d’ailleurs. Enfin, dis-moi, as-tu déjà vu cette fille ? » demanda le mage des rêves en faisant apparaître une représentation en deux dimensions de la fille de la forêt.
L’humaniste regarda l’image, sourit, bava un peu et hocha la tête.
« Où l’as-tu vue ?
— Sur bateau… Y a un mois… Bateau jasporien…
— Quel bateau ? Où allait-il ?
— Bateau… Sur l’eau… Bateau jasporien…
— On n’en tirera rien de plus. Désolé, conclut Aléthéïos.
— Bon, on a deux adresses à vérifier, résuma Galaad. Je propose qu’on laisse les protecteurs de la cité s’occuper de la planque des humanistes, et qu’on gère tout seuls la baraque de monsieur R. »
Vallach’ se proposa néanmoins d’assister les protecteurs, plus pour vérifier qu’ils n’oublient rien d’important sur les lieux.
Nous partîmes donc pour l’hôtel particulier de monsieur R, que nous trouvâmes désert au dernier degré. C’est-à-dire qu’il ne restait pas un meuble, comme si la bâtisse n’était plus habitée depuis plusieurs mois. En sortant, j’entendis la voix de Pelenor souffler : « Fagus… »
Comme je m’approchais, il m’indiqua le toit de la maison.
« J’ai vu une forme bouger là-haut, peut-être R… », me chuchota-t-il.
À peine eut-il terminé sa phrase qu’Azyel bondit sur le mur et commença à l’escalader à l’aide de ses chausses enchantées. L’impression qu’il dégageait en escaladant le mur de cette manière, dans une espèce de lutte perpétuelle contre la gravité qui s’apparentait plus à de la nage qu’à de la varappe, était très déstabilisante. Il arriva néanmoins sur le toit, sans rien discerner en dehors de la forme lointaine d’un grand oiseau qui s’étrécissait peu à peu.
Quand il redescendit, il nous commenta rapidement ce qu’il avait vu, et conclut « qu’ils commencent à faire chier, ces piafs, le prochain qu’il croise il le grille ! »

Nous rentrâmes à l’auberge dans la soirée pour trouver un mot de Vallach’ calligraphié qui donnait le compte rendu de la fouille de la planque des humanistes :

« Trois-quatre espions humanistes capturés. En savent pas plus que nous. Les jarres étaient apparemment stockées dans la cave.
Je dois vous laisser, j’ai rendez-vous avec la princesse (ou son assistante) pour un verre. Je vous retrouve demain matin.

Bien à vous, votre ami Vallach’, marquis de Veynes. »

« Ça sent le râteau. » commenta sobrement Galaad avant d’aller se coucher, vite imité par toute la bande.


[1] Kalimsshar : Grand Dragon de la Fatalité et des Cauchemars. Il aime : l’évolution, être le mauvais garçon de la famille. Il n’aime pas : la stagnation. Il dirige : aucune caste, mais tous les fatalistes.
[2] Je t’emmerde. (NDMJ)

15 juin 2011

Tribute to... P. G. Wodehouse


Si un jour (ce que du reste je vous conseille) vous avez l’occasion de vous balader dans les rayonnages d’une grande librairie anglo-saxonne (genre Waterstone’s à Londres ou, plus simplement, W. H. Smith ou Galignani à Paris) et que vous allez vous promener du côté des W, vous serez peut-être surpris de tomber sur un mur entier couvert d’œuvres d’un auteur quasi inconnu en France : P. G. Wodehouse.

Il faut dire que cet écrivain anglais à succès du XXe siècle faisait preuve d’un humour si typiquement british qu’il perd beaucoup à la traduction. Sa principale création, celle pour laquelle ceux qui le connaissent s’en souviennent, est constituée du duo Bertie Wooster, jeune gentleman anglais égocentrique et un peu stupide, et Jeeves, son imperturbable valet de chambre qui sauve régulièrement son maître des incroyables situations dans lesquelles il finit immanquablement par se fourrer.

À ce propos, on peut considérer que Jeeves est l’ancêtre de tous les Alfred, Niles et autres Geoffrey, majordomes de série télé à l’humour acéré autant qu’indispensable.
Je viens de lire un peu de Wodehouse, dont il existe des traductions françaises même si elles sont rarement mises en avant sur les étals de la Fnac (la VO contient vraiment trop de jargon britannique pour moi), et ça m’a donné envie de me renseigner un peu plus sur le bonhomme.

Et j’ai découvert une chose amusante. Vous le savez sans doute, quand une œuvre littéraire est adaptée à la télévision ou au cinéma de bonne manière, elle laisse une impression durable, notamment dans la représentativité des personnages. Ainsi, beaucoup de gens se représentent instantanément le physique rondouillard de David Suchet quand on leur cite Hercule Poirot, la plupart discernent clairement la silhouette massive de Bruno Cremer à l’évocation du commissaire Maigret, et de nombreux exégètes voient Jeremy Brett en entendant Sherlock Holmes.
Devinez donc qui vient à l’esprit des Anglais quand on leur cite Wooster et Jeeves…


Eh oui, on l'oublie un peu facilement mais Hugh Laurie est d’Oxford, un pur produit britannique. Quant à Jeeves, à droite, il est quand même interprété par Stephen Fry, acteur bien connu (mais fatalement moins que l’interprète de House).

N.-B. À noter également, dans le Black Dossier de La Ligue des gentlemen extraordinaires, un improbable mais hilarant cross-over P. G. Wodehouse/H. P. Lovecraft, où Bertie et Jeeves affrontent des Mi-Go. Un peu comme si Ma sorcière bien-aimée affrontait Godzilla. Les connaisseurs apprécieront. Les autres ont décroché de cette note depuis longtemps…



13 juin 2011

Planicogyre ! Cornofulgur ! Favicone !

Yeah ! J'ai créé une favicone pour le blog.
Si c'est pas la mégaclasse !
Je suis le roi ! Le boss! 
L33T M45T3R!!! 
DA KING DA RULZ!
F34R MY HTML M45T3R 5KILL5!!!

Enfin, c'était pas over compliqué, mais je suis assez content de moi.
Comment ? Les notes de bas de page ? Euh... oh, un rhinocéros !

10 juin 2011

Les Prétendants d'Elya (3)

Troisième chapitre.
Oui, je sais, les NDBDP* déconnent toujours... faut que je m'y remette !

* Notes de bas de page (© Jasper Fforde)





Balade en forêt

Le lendemain, le premier réflexe de Galaad fut d’aller au palais se renseigner sur l’apparence de la princesse Nadia. Après tout, aucun d’entre nous n’était vraiment certain de l’identité de celle qu’il avait croisée durant la nuit.
Un garde du palais la lui décrivit comme une belle jeune fille aux yeux verts et aux longs cheveux bruns. Il confirma également son talent dans certains arts magiques, sans toutefois pouvoir détailler plus. En fait, elle avait reçu une éducation générale et maniait aussi bien (ou, pour être plus exact, aussi moyennement) les arts occultes que les armes. Son précepteur avait été le dirigeant local de la caste des Mages, lui-même spécialisé en magie des cités.

Dire que Vallach’ était un peu ennuyé eût été euphémique, et de loin. Après avoir découvert qu’il avait tenté de séduire la mauvaise personne, il fut doublement humilié quand Aléthéïos lui apprit qu’après avoir voyagé en rêve dans les pensées nocturnes de la jeune fille à laquelle il avait chanté sa sérénade, il avait appris que cette dernière le considérait à présent comme un bouffon fort potable pour le jour où elle serait reine aux côté du prince Argen.
Dégoûté, Vallach’ n’en avait pas moins hâte de rencontrer la vraie princesse, car « si cette blondasse était restée insensible à son charme et à sa musique, c’était de toute évidence parce qu’elle n’était pas de sang suffisamment royal ».

Il n’était pas cependant contre une promenade en forêt, car « résoudre un petit mystère et tuer quelques bêtes ne pouvaient que lui faire du bien, et témoigner de l’importance qu’il accordait aux affaires internes de son futur fief ! »

Après avoir rallié le mage de la nature qui avait gentiment accepté de nous accompagner et avoir loué les services d’un voyageur (moyennant un long marchandage faisant passer le tarif de quinze à cinq dracs de bronze), nous partîmes pour la forêt.
Le voyage ne fut pas bien long et nous parvînmes à l’orée du bois au bout de trois heures de marche. Une fois sous le couvert des arbres, le mage invoqua des membres du peuple Faë afin de converser avec eux. Aucun ne répondit à son appel, ce qui l’intrigua beaucoup car le cas ne s’était jusque-là jamais produit.

En avançant un peu, le voyageur nous mena à un petit village de chasseurs qui nous fit pauvre accueil : trois jours plus tôt, un bûcheron avait disparu, une semaine avant c’était un chasseur qui n’avait plus donné signe de vie après s’être trop enfoncé dans le sous-bois. De pareils cas s’étaient produits dans tous les villages environnants et les habitants vivaient à présent dans la terreur d’avoir déplu à Heyra. Beaucoup évoquèrent un prodige animal, un être capable de converser avec le peuple Faë qui, lui non plus, n’avait donné nul signe de vie depuis plusieurs semaines.

Après une rapide concertation, nous décidâmes de nous enfoncer dans la forêt et de voir ce qu’il en était. Après tout, nous étions nombreux et puissamment armés (surtout deux d’entre nous), et j’étais convaincu que la forêt cherchait quelqu’un à qui communiquer ses desiderata. Mon rôle m’apparaissait dès lors clairement : je devais endosser le rôle de médiateur afin d’éviter de nouveaux incidents.

Nous réussîmes à convaincre un forestier de nous accompagner pour nous guider (et nous congédiâmes donc notre voyageur qui ne désirait de toutes façons nullement tenter le sort pour un salaire aussi dérisoire) et nous nous mîmes en chemin.

La forêt était étrange. De par ma formation, j’étais habitué à arpenter les sous-bois, à harmoniser ma vie avec celle des créatures qui vivent dans ces lieux. La forêt palpite, elle vibre, elle bourdonne et elle glapit, elle hulule et elle hurle, et de temps en temps elle dort…
Mais là il n’y avait pas un bruit. Pas une vibration. Juste un silence de mort, ou plutôt d’attente. Tel un félin qui se recroqueville, la forêt nous observait et se préparait à attaquer. Chaque buisson semblait dissimuler une paire (au moins) d’yeux hostiles. Chaque terrier suintait de venin, chaque mare scintillait de crocs… Mais pas un bruit, non, pas un murmure. Juste le vent dans la canopée, là-haut…

« Ce n’est pas normal, n’est-ce pas ? murmura Galaad, plus habitué à la ville.
— Non. Quelque chose ne tourne vraiment pas rond. La forêt est en colère, elle est furieuse… Quelque chose lui a été enlevée et… 
— Quoi ? Fagus, qu’est-ce qui se passe ? »
Je ne répondis pas. Les sens exercés du chevalier et du protecteur les identifièrent à leur tour, et le mage de la nature m’adressa un coup d’œil terrifié.

Nous sentions les masses approcher, guidées par une noire furie. Nous commençâmes à entendre les buissons craquer sur leur passage.
Juste avant qu’ils paraissent, nous la vîmes tous distinctement, par petits flashs successifs dans nos esprits. Un visage de conte de faës, une jeune fille magnifique, brune, aux yeux d’une douceur exceptionnelle. Une trop courte vision de paradis, qui fut interrompue par la brusque irruption des quatre émissaires de la forêt.
Il s’agissait de trois loups gigantesques encadrant un ours qui, sur ses quatre pattes, devait déjà atteindre les trois mètres. Aucun ne semblait enclin à parlementer, aussi Galaad et Pelenor défouraillèrent-il de conserve.

Je m’avançai alors. Je n’allais pas laisser s’opérer un tel massacre, ces animaux étaient créatures d’Heyra, ils avaient été injustement spoliés d’un bien et je me devais de tout faire pour réparer cette injustice. Je me prosternai devant l’ours qui semblait mener la bande et le suppliai de nous expliquer ce qui s’était passé.
« Fagus… 
— Une seconde, Vallach’, je suis occupé là. 
— Non mais Fagus… 
— J’essaie de nous sauver la peau, pourrais-tu… ? 
— Fagus, les arbres bougent ! »

Je me retournai vivement. Effectivement, alors que je n’y prêtais pas attention trois dryades avaient pris le contrôle d’arbres et s’étaient positionnées pour nous couper toute retraite.
C’est ce moment que les loups choisirent pour passer à l’attaque. Le plus grand bondit sur Galaad qui encaissa la charge avec son bouclier. Les autres foncèrent vers le mage et le forestier.

« J’espère que Heyra me pardonnera, mais mort je ne pourrais plus aider la forêt ! » hurlai-je en guise d’excuse. Brandissant mon shaaduk’t, je barrai la route à un des loups et protégeai ainsi le forestier. Me déplaçant souplement je guidai la bête vers moi et la forçai à oublier sa première proie. Du coin de l’œil, je vis Aléthéïos et Azyel conjuguer leurs efforts sur le grizzli : le mage des rêves opérait un blocage mental qui perturbait les sens de l’animal, tandis qu’Azyel préparait un sort de son cru, probablement létal.
Évitant prestement les crocs du canidé géant, je reculai afin de me laisser un peu de champ et abattit lourdement l’extrémité en forme de masse du shaaduk’t sur le crâne de mon adversaire. Celui-ci resta sonné pour le compte.
Pendant ce temps Pelenor n’avait pas perdu de temps et avait tranché son loup par le milieu, comme un bûcheron, selon une technique primitive mais efficace. Galaad, de son côté, réceptionnait chaque charge lupine avec son bouclier et ripostait immédiatement par un mouvement tournant se terminant immanquablement par un coup d’épée. L’animal fut vite mis hors de combat.

Vallach’, lui, semblait gravement à la rue. Il tentait maladroitement de se camoufler derrière un buisson mais son pourpoint rouge vif le rendait aussi discret qu’un pétaure dans un magasin de boîtes à musique. Comme les dryades commençaient à s’en prendre à lui, je hurlai à Azyel de s’occuper plutôt d’elles, puisque Aléthéïos semblait contrôler l’ours sans trop de peine. À peine eus-je fini d’articuler que deux boules de feu jaillirent de son gantelet et frappèrent les ligneuses créatures de plein fouet. Un sentiment de folie furieuse envahit alors l’air. Les dryades suintaient la haine par tous les stomates, leur combustion les rendant à moitié folles.

Nous optâmes alors pour la fuite, afin d’éviter de faire plus de dégâts. Le massif plantigrade resta sur place, trop occupé à rassembler ses esprits, et les dryades désertaient leurs arbres pour se trouver des abris plus sûrs.

De retour au village, nous fûmes accueillis par le forestier qui avait fui dès qu’il en avait eu l’occasion. Il ne pensait pas nous revoir vivants et nous proposa l’hospitalité pour la nuit qui s’approchait. Le mage de la nature, cependant, déclina l’invitation et préféra rentrer seul à Elya, ayant manifestement vécu assez d’aventures pour le restant de son existence.

La soirée fut l’occasion d’une grande discussion avec les membres du village. Le forestier qui nous avait accompagnés nous avoua ne jamais avoir vu la jeune fille que la forêt nous avait montrée, mais il évoqua d’une légende locale : dans un lac non loin de là, une jeune fille se serait noyée et hanterait encore les lieux. Bien sûr, c’était il y avait plus de vingt ans et il serait absurde que la forêt ne s’en émût que maintenant, mais c’est tout ce qu’il voyait.

« Génial ! Une morte d’il y a vingt ans, ça, ça va nous aider dans notre enquête ! critiqua Vallach’.
— Excuse-moi, mais c’est déjà une piste. Et pour l’instant, cette jeune défunte nous a été aussi utile que toi.
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— Je n’insinue rien, j’affirme que pour l’instant, à part jouer du violon à une personne que tu aimes tellement que tu ne la reconnais pas quand tu la vois et mal te cacher derrière un fourré, tu n’as pas fait grand-chose.
— Cela suffit ! s’exclama Vallach’ en se levant, à quinze pas d’ici je te ferai savoir ce que vaut un Veynes, allez, viens te battre le tonsuré !
— Le faisan se rebiffe ! Perds pas tes plumes, bel oiseau. Je ne disais cela que pour plaisanter. Je suis certain que tu nous seras utile à quelque chose un jour ou l’autre, et au pire Khy a créé les hommes divers et variés afin qu’ils s’entendent en bonne intelligence, et si mon âme appartient à Heyra, je souscris volontiers à cette autre intention draconique.
— Qui a créé les hommes ? intervint Pelenor.
— Khy ! Khy a créé les hommes.
— Oui, qui ?
— Bon, ça suffit les nazes ! ordonna Galaad. Au dodo, demain on a du pain sur la planche. Va falloir réveiller les morts ! »

Le lendemain, sur la route du lac, Aléthéïos nous conta qu’il avait tenté en rêve d’atteindre la jeune fille de la forêt, mais sans succès.
« Ainsi donc, tu peux entrer dans les rêves de n’importe qui ? demandai-je, étonné.
— Point donc, ami prodige. Il faut d’abord que j’aie vu la personne. Et la technique fonctionne d’autant mieux que je sais précisément où elle se trouve, ce qui explique d’ailleurs mon échec de cette nuit.
— Tu parles ! T’as juste fait un jet de merde ! » commenta Azyel, ce que personne ne releva.

Nous traversâmes plusieurs villages sur le chemin, où la même histoire se répétait indéfiniment. Les bêtes avaient été particulièrement nerveuses la nuit passée, ce qui n’avait rien de surprenant après notre intervention. Un des hameaux nous apprit cependant un détail intéressant : un convoi avait apparemment traversé la forêt en passant par chez eux, dans un but des plus obscurs. Aucun paysan ne put nous apprendre ce qu’il transportait, ni dans quelle direction précise il était parti, mais les dates de passage coïncidaient étrangement avec celles des agressions sur les gardes des portes de la ville.

Le lac était un endroit de toute beauté, une jolie cascade enchantait la clairière d’un doux gargouillis, l’eau présentait des reflets enchanteurs et invitait à la baignade. Comme nous passions derrière la chute afin de vérifier si la traditionnelle caverne ne s’y trouvait pas, nous perçûmes en limite de nos champs de vision une forme féminine. Apparemment, une jeune femme était en train de se noyer au milieu de l’étendue d’eau ; elle s’enfonçait sans un bruit, sans un appel au secours.
Azyel plongea sans hésiter après avoir vivement ôté sa cotte légère et son épée. À peine avait-il plongé que la jeune femme avait disparu de notre vue, mais cela ne l’empêcha pas de poursuivre sa nage jusqu’à ce que, arrivé à mi-chemin, il disparaisse soudain à son tour.
Sa tête jaillit de l’eau, pour y replonger aussitôt avec force gargouillis et bulles d’imprécations, comme si quelqu’un l’attirait sous la surface contre son gré. Heureusement Galaad avait de l’expérience et avait au préalable insisté pour que son collègue protecteur s’encordât solidement. Pelenor et lui ramenèrent donc l’inconscient vers le rivage, sur lequel il se hissa en proférant d’aqueux jurons envers la malfaisante ondine qui l’avait empoigné.
Me concentrant quelque peu, je parvins cependant à rentrer en contact avec l’être d’eau qui lui avait joué ce tour, et une silhouette féminine toute d’eau formée montra son buste à proximité de l’endroit où nous nous tenions.

« Une ondine… Une vraie ondine… bafouilla Vallach’.
— On peut communiquer avec elle ? demanda Azyel.
— Oui, mais…
— SALE PUTE D’ONDINE DE MES DEUX, SORS DE L’EAU ET VIENS TE BATTRE GROSSE PÉTASSE MAL ESSORÉE… !
— Mais pas par des mots ! Ça suffit Azyel, elle entend ta colère, mais s’en moque bien. De toutes façons tu ne peux rien contre elle, et c’est toi qui as empiété sur son territoire.
— Quoi ? Quoi ? Mais…
— Le mieux serait de lui montrer des images : elle nous ferait ressentir ce qu’elle en pense par empathie. Aléthéïos, tu peux faire ça ?
— Le sort PrintScreen… Oui, j’ai ça en magasin. Une seconde… Voilà. »
Après quelques signes cabalistiques, une image en deux dimensions de la jeune fille de la forêt apparut devant nous et l’ondine. Nous ressentîmes aussitôt un intense sentiment de manque.
« Apparemment nous avions raison : cette fille appartient à la forêt, d’une manière ou d’une autre, et lui a été enlevée. Il nous faut la retrouver si nous voulons qu’elle recouvre son état normal, expliquai-je.
— Essaie une image de dragon de la nature. Il y en a forcément un dans cette forêt, il devrait gérer tout ça, pourquoi n’a-t-il rien fait ? » proposa Vallach’, pour une fois ingénieux.
L’icône d’une fille d’Heyra apparut à son tour, et un sentiment de souffrance nous heurta de plein fouet. Comme si nous étions en train de voir agoniser un être cher. Plusieurs d’entre nous, dont les vies n’avaient jusque-là pas toujours été roses, eurent le réflexe de détourner le regard. Je devinais chez certains des souvenirs bien plus douloureux que les miens propres.
« Je crois que le dragon de cette forêt ne va pas fort… » interpréta Pelenor, le visage fermé.
Une nouvelle image apparut dans nos esprits, l’image d’un attelage passant près du lac. De grandes jarres portant des runes en composaient le chargement et il se dirigeait vers l’intérieur de la forêt.
« Voici donc notre fameux convoi. Apparemment notre amie liquide le pense aussi lié à toute l’affaire. Vous pensez que nous pourrions retrouver sa trace ? » demanda Galaad.
Je hochai la tête, déclarai que nous pouvions toujours tenter et remerciai l’ondine pour l’aide qu’elle nous avait apportée. Elle disparut dans son élément sans un mot, sans une pensée.

Les traces du convoi n’avaient pas été bien dissimulées et il nous fut assez facile de repérer le chemin tracé par les roues de l’attelage en nous repérant par rapport à la vision de l’ondine. La piste menait à une petite maison de chasseur isolée dans le sous-bois. Le propriétaire semblait assez inquiet de voir débarquer pareille troupe, mais il fut rasséréné par les trois dracs de bronze que lui offrit Vallach’ et nous confirma que le convoi transportait des jarres ornées de runes. En fait, les voyageurs (qui étaient souvent cinq ou six) stationnaient régulièrement devant leur maisonnée l’attelage et le potame qui le traînait et louaient au propriétaire son âne pour transporter plus avant les jarres vides, l’épaisseur de la végétation interdisant le passage au chariot. Ils revenaient quelques heures plus tard, les jarres pleines et hermétiquement scellées, et repartaient d’où ils étaient venus.

Pendant que l’homme confessait tout cela, Aléthéïos et moi jouions avec les enfants, qui semblaient dissimuler un objet étrange. Au bout d’un moment, ils se sentirent suffisamment en confiance pour nous le confier : « c’est les gens du convoi qui l’ont laissé tomber. C’est drôlement pointu, faut faire attention… »
Je tressaillis en découvrant l’objet. À mes côtés, Aléthéïos conservait un flegme exemplaire. L’objet triangulaire était de toute évidence un carreau d’arbalète.

Après l’avoir montré à l’assemblée, le doute ne fut plus permis : le convoi était dirigé par des humanistes.
« Maudite engeance ! Que sont-ils encore allés manigancer pour nuire à l’ordre des choses ! s’exclama Azyel, dont le côté protecteur prenait par moment des teintes inquisitrices.
— Euh… Vous êtes sûr qu’il ne s’agit pas de pointes de flèches ? Peut-être des voyageurs…
— Ami Vallach’, tu es agile en parole, mais laisse l’analyse des armes à ceux qui en font profession. Ceci est une pointe destinée à une arme mécanique, un équipement hérétique, tout ce qu’il y a de plus humaniste, asséna Pelenor, apparemment bien au fait des stratégies guerrières des anti-dragons.
— Nous devrions poursuivre notre route. Je reconnais que je suis inquiet, mais également curieux de savoir ce que les humanistes peuvent trouver de si intéressant qu’ils n’hésitent pas à forcer l’entrée d’Elya » fis-je remarquer.

Nous poursuivîmes donc. La piste était légèrement moins aisée à suivre, ce qui me permettait de ne pas trop réfléchir aux implications de notre découverte.
Les humanistes voulaient la peau des Grands Dragons, c’était entendu. Ou plutôt, ils voulaient se « libérer du joug sous lequel les tenaient les grands ailés ». Chacun son vocabulaire, quand on veut tuer son chien…
Les humanistes rejetaient en bloc les Édits draconiques. Ils développaient des arts interdits comme la mécanique, la chimie et la médecine, refusaient la magie de Moryagorn, prônaient la libération, bref autant de fadaises.
En tant que prodige, j’étais par définition hostile à l’humanisme. Cependant je me situais, et de loin, dans la fraction tolérante de ma caste. La plupart des humanistes que j’avais croisés étaient plus de doux rêveurs, des illuminés qui tentaient d’améliorer la vie de leurs congénères. Jamais je n’en avais dénoncé un seul, me contentant d’une remontrance et d’une démonstration des vertus draconiques. Je croyais, je crois toujours en la vertu par l’exemple. La répression, dans les cas véniels, n’apporte rien de bon.
Mais ces rares rencontres ne me trompaient pas : je n’avais eu affaire qu’à une portion elle-même très modérée de l’hérésie, et je savais que quelque part dans le nord, toute une nation d’humanistes radicaux s’étaient formée. Et je n’avais que trop conscience de ce que donnait une grande réunion de doux illuminés : une bande de fanatiques fous furieux qui, pour peu qu’un meneur sorte des rangs, sombrerait vite dans un délire hégémonique sous couvert de « libération des opprimés ».
La présence du carreau d’arbalète indiquait la présence d’une section militaire, qui devait donc effectuer une mission précise et sans doute importante pour s’aventurer en forêt, un milieu que les humanistes n’appréciaient traditionnellement pas. Tous autour de moi arboraient des visages graves et inquiets, preuves qu’ils étaient aussi conscients que moi de la taille et de l’importance du lièvre que nous avions levé.

Au bout de trois ou quatre heures de marche nous arrivâmes au pied d’une petite colline où peu de temps auparavant, à en juger par les coulées d’effondrement toute fraîches, s’était produit un glissement de terrain. Vers la base on distinguait l’entrée d’une galerie de mine, étayée à la virgule, avec vaux et sapines[1]. Nous approchant, nous vîmes le tunnel s’enfoncer sans surprise sous la colline et distinguâmes çà et là des restes de tonneaux éclatés et à moitié brûlés de l’intérieur.
« De la poudre… murmura Aléthéïos. Une invention diabolique des humanistes. C’est un explosif puissant, ils l’utilisent pour creuser leurs mines. »
Nous pénétrâmes dans l’obscur conduit et Azyel nous éclaira d’une flammèche, un sort mineur de feu bien utile en pareil cas. À mesure de notre avancée nous commençâmes à entendre un curieux bruit de succion en provenance des parois. Azyel intensifia son sort, découvrant les murs, et nous remarquâmes avec dégoût quantité de vers étranges et fuligineux se trémousser sur les pierres environnantes. Leur nombre augmentait manifestement à mesure que l’on progressait vers le fond.
Galaad trancha un de ces curieux annélides, ce qui n’eut d’autre effet que de produire deux vers, strictement identiques au premier, y compris en taille.
« Quelle est cette diablerie ? Fagus, as-tu déjà vu pareille chose ? demanda Pelenor, inquiet.
— Eh bien… fis-je, étonné. La schizométamérie est chose courante chez les annélides, mais je n’ai jamais vu de telles créatures… d’un autre côté je ne suis pas familier de la biocénose cavernicole, peut-être s’agit-il d’une espèce locale de polychète…
— En clair, tu sais pas ce que c’est, résuma Vallach’.
— Moi, je sais. N’y touchez surtout pas ! s’exclama Aléthéïos, à qui je vis pour la première fois l’air inquiet. Ces créatures… Elles ne sont que la marque d’un mal étrange et peu connu des hommes. Elles se nourrissent de magie, aussi il vaut mieux éviter, pour ceux d’entre nous doués de pouvoirs, de s’en approcher.
— Comment connais-tu cela, Aléthéïos ? De quoi s’agit-il exactement ?
— On appelle cela le Fléau. Mon père m’en a souvent parlé. Il a combattu cette plaie à travers tout Kor, aux côtés de valeureux combattants.
— Ces créatures puent le fatalisme ! Décidément, cette grotte est le repaire de toutes les vermines de notre monde ! s’insurgea Azyel.
— Je suis navré, collègue, mais le Fléau n’est pas une création des fatalistes. Pour ce que mon père m’a raconté, il s’agit d’une lèpre mise au point par deux particuliers, des immortels qui souhaitaient se venger des dragons qui les avaient trahis… raconta Aléthéïos, dont l’éternel petit sourire était revenu.
— Cela revient au même. Que sont devenus ces immortels ?
— Mon père l’ignore. Il a continué à les combattre pendant un temps, puis a opté pour une… une retraite bien méritée. Mais même s’ils ont renoncé, leur calamité court toujours.
— Mmh… » fit Azyel, à moitié convaincu. Il semblait déjà suspicieux de nature, mais le fait qu’Aléthéïos connût aussi bien les mœurs humanistes et fût familier de ce Fléau qui sentait tellement le fatalisme n’était pas pour arranger les choses.
Ces pensées furent toutefois interrompues par un soupir déchirant.
Le fond de la caverne semblait obstrué, mais en nous approchant nous vîmes soudain une partie de la paroi se lever et découvrir une sphère brillant faiblement d’un jaune pâle. Nous comprîmes alors que nous étions face à l’œil du dragon de la forêt.
En regardant mieux, nous distinguâmes les contours de sa tête, ses cornes tombantes, son bec crochu. Il semblait à l’agonie. Sa respiration était sifflante, bourdonnante, comme si ses voies internes étaient encombrées, ses yeux étaient presque vitreux. Il nous vit sans nous voir, en proie à toute la souffrance du monde. Sa tête était couverte de ces vers noirs du Fléau et, s’il s’agissait d’une maladie, il semblait en phase terminale.
« Nous devrions nous éloigner. Les vers de la grotte sont faibles, mais ceux-là sont virulents à souhait. Nous pourrions être contaminés à notre tour », commenta Aléthéïos en faisant demi-tour. J’esquissai un humble salut et sortis à la suite de mes camarades.

L’heure était grave et dépassai de loin mes compétences. Pelenor s’isola pour communiquer avec son lien draconique. Elle était également dragon de la nature, elle saurait quoi faire. Il y avait sans doute un moyen de se débarrasser du Fléau, on avait dû trouver quelque remède depuis l’époque du père d’Aléthéïos. Quoique celui-ci ne semblait guère y croire.
« Ami mage, n’y a-t-il aucun espoir à tes yeux ? Ce Grand Dragon devra-t-il capituler face aux ravages d’une maladie ? Comment se peut-il… ?
— La réalité est pire que tu ne le crois, ami prodige. Le Fléau ne se contente pas d’absorber la magie, il provoque des douleurs bien au-delà de tout ce que tu pourrais imaginer. Mon père a vu nombre de Grands Ailés devenir fous à force de souffrances, se mettant à tout dévaster sur leur passage jusqu’à ce qu’un être courageux réussisse à faire taire le mal en les achevant. Je sais que cela semble cruel, mais il m’étonnerait fort que Pelenor ne revienne pas bientôt avec pour consigne l’effacement total de cette colline. »
Pelenor approchait justement :
« L’affaire est d’importance, elle doit en discuter avec d’autres dragons… Elle rappellera dans quelques heures.
— Bien. Mettons les choses au clair, si vous le voulez bien… proposa Galaad.
— De toute évidence, une petite faction d’humanistes a investi la ville, dit Azyel, avec un accent haineux sur le mot en H.
— Cela n’a rien d’étonnant. Il eût été surprenant qu’une grande ville comme Elya, qui plus est à l’interface entre les États draconique et humaniste à la veille d’une grande croisade, ne possédât pas une cellule humaniste clandestine, déclara Aléthéïos, ce à quoi tout le monde souscrivit.
— Toutefois, intervint Vallach’, une fraction de cette cellule semble de nature militaire, et en mission pour les nations humanistes. Et cette mission, étant donné ce que nous savons maintenant, semble claire.
— En effet. Ils viennent jusqu’ici récupérer les vers du Fléau sur ce malheureux Dragon. Peut-être même lui ont-ils inoculé ! soufflai-je.
— Non, ça ne marche pas comme ça, précisa Aléthéïos. Je doute que les humanistes puissent maîtriser le Fléau, ils refusent la magie et ne peuvent donc pas comprendre comment ce mal fonctionne. Cependant l’usage qu’il lui destine est évident.
— C’est une arme redoutable contre l’armée qui se prépare à envahir leur pays. Sans les dragons et les mages, nous n’irons pas loin, exposa Pelenor. Je pense que…
— Oui ?
— Une seconde… Je capte mal… Attends, je m’éloigne… »
Et joignant le geste à la parole, il fit quelques pas, manifestement en contact avec son dragon. Cependant je m’entretenais avec Aléthéïos :
« Ton père semble avoir connu de nombreuses aventures.
— Oh oui. C’est un mage lui aussi. Il était inspiré par une Étoile et suivait sa destinée aux côtés des autres élus de l’astre. Une équipe extraordinaire à ce que l’on raconte. Il m’a beaucoup appris, et je crois pouvoir affirmer que sans lui, je ne serais pas ce que je suis.
— J’imagine que ses histoires ont bercé ton enfance…
— Mon enfance… Disons que je ne l’ai pas vu passer. Mais oui, il m’a conté de nombreuses histoires. Sur les dragons et les hommes, sur les passions et les guerres, sur les fatalistes et les humanistes. Il m’a terrifié avec des histoires de Slaynns attaquant des auberges la nuit, sans bruit ; il m’a envoûté avec le récit palpitant de l’idylle impossible entre deux êtres que tout opposait ; il m’a confié comment la vie vous met devant des alternatives déchirantes, comment on doit parfois choisir entre sauver une vie chérie plutôt que des milliers d’autres inconnues ; il m’a appris à me méfier des rêves car ils sont trompeurs et m’a encouragé à les maîtriser pour mieux m’en prémunir ; il m’a appris à chérir mes amis malgré nos divergences d’opinion, car ils sont précieux…
— Il faudra me les raconter. Je les propagerai de par Kor, et nul n’ignorera plus les exploits du père d’Aléthéïos le mage.
— Peu sont racontables, malheureusement. Mais j’essaierai d’en trouver quelques-unes qui ne vont pas trop à l’encontre des Édits draconiques…
— À ce point ?
— Père a coutume de dire que le seul qu’ils n’aient pas enfreint, c’est la souillure du corps de Moryagorn. Mais il plaisante souvent en rappelant qu’Irys ne s’est pas construite en un jour. »
Nous riions ensemble quand Pelenor revint, le regard grave.
« Ils ont pris leur décision. »

Azyel se chargea de la besogne. Il avait visiblement la gorge nouée, pourtant il ne bafouilla pas en prononçant son incantation. Le projectile, une boule de feu majeure, plongea droit dans l’ouverture du tunnel, carbonisant vaux, sapines et étais, et la colline implosa dans un grand bruit sourd. Le dragon ne poussa pas un cri, sans doute soulagé par cette mort qu’il appelait de ses vœux depuis si longtemps.
Nous nous recueillîmes quelques temps, puis, comme il n’y avait plus rien à faire là, nous reprîmes le chemin de la ville.


[1] Excusez-moi de m’y connaître !