Ex nihilo Neil

15 novembre 2023

J'ai lu des BD

 

Blacksad t. 7 – Alors, tout tombe (2de partie)
Díaz Canales et Guarnido

On attendait impatiemment cette suite de Blacksad, concluant une intrigue mêlant malversations immobilières et théâtre subventionné. Est-ce que c'est sublime ? Oui. Est-ce que c'est parfaitement raconté avec un graphisme et une mise en page à tomber de sa chaise, avec des couleurs à se damner et un parti pris de design incroyablement puissant et efficace ? Oui. Est-ce que ça tutoie les étoiles ? Meh...

J'adore Blacksad parce que je ne vois pas comment faire autrement. Le concept est juste trop fort. Du film noir en BD avec une patte animalière à la Disney, c'est imparable. Et pourtant, parfois, il m'arrive de me demander si Blacksad, ça ne ferait pas un peu dans la facilité. Si les personnages, clichés par essence, ne le seraient pas aussi un peu parce que c'est quand même plus simple à écrire. Et j'ai un peu honte de penser ça parce que je n'arriverai jamais à la cheville ni d'un Canales, ni d'un Guarnido. Mais quand même, dans le prochain, j'aimerais un peu plus d'audace. Peut-être une réflexion sur le genre noir. C'est un comble, à l'heure où tant d'œuvres « méta » insistent trop sur leur aspect autoréflexif et néglige l'efficacité primaire du récit, travers qu'on ne peut certainement pas reprocher à Blacksad... Bah, on n'est jamais content.


L'Ombre des Lumières t. 1 – L'Ennemi du genre humain
Alain Ayroles et Richard Guérineau

S'il est un auteur dont il faut toujours surveiller les sorties, c'est bien Alain Ayroles. Depuis Garulfo et surtout De cape et de crocs (chef-d'œuvre intergalactique que je vous intime de posséder dans votre bibliothèque et de relire au moins une fois par an), il a signé quelques ouvrages passés relativement inaperçus (notamment l'excellent D, relecture de Dracula que je vous conseille) et l'estourbissant Les Indes fourbes, avec Guarnido au dessin (et là il faut carrément que vous en achetiez deux et que vous les relisiez tous les jours !). 

Sa nouvelle série, L'Ombre des Lumières, se situe au XVIIIe siècle (siècle des... Lumières, oui, vous suivez) dans les traces d'un noble libertin, sorte de Voltaire trouduc, qui se plaît à tester les limites de la société où il évolue. C'est extrêmement prometteur, et je gage que nous avons ici le début d'une trilogie qui aura tout pour plaire. On y retrouve les obsessions d'Ayroles (le beau parler, les préjugés, la lutte des classes – si, si, c'est en filigrane dans toute son œuvre), et c'est délicieux.


Spirou et la Gorgone bleue
Dany et Yann

Un cas d'école que ce Spirou signé par un duo de légende. Dany et Yann, vieux briscards de la bande dessinée franco-belge (149 ans à eux deux !), reprennent donc les stylos pour une aventure de Spirou et Fantasio aux prises avec des écoterroristes. Et franchement, le résultat est fascinant. 

Pas fascinant « oh mon Dieu c'est tellement beau, bien écrit et bien pensé », non. Déjà parce que ce n'est pas si beau : Dany accuse son âge et des designs manquent parfois de consistance d'une case à l'autre. Non, fascinant parce que cette BD écrite par deux vieillards parvient à aborder quasiment tous les sujets chauds du moment (crise écologique, hégémonie du grand capital, activisme, bellicisme américain, hyperconsumérisme...) pour se conclure sur une morale de boomer ++ : « Boaf, on s'en fout, on est à la plage, les meufs sont bonnes, y a bien d'autres gens qui trouveront une solution. » C'est tout simplement incroyable de nihilisme cru, à la frontière de l'insulte aux jeunes générations, et comme je l'écrivais plus tôt, ça en devient fascinant.


Donjon Antipodes + t. 10002 – Changement de programme
Joan Sfar, Lewis Trondheim et Vince

Un nouveau Donjon, c'est toujours bon à prendre. Dans celui-ci il se passe plein de trucs, notamment avec des robots, des démons et une tête d'automate qu'on connaît bien.


Astérix – L'Iris blanc
Fabcaro et Didier Conrad

J'étais très curieux de voir ce que Fabcaro allait faire avec Astérix. C'est une petite déception, mais limitée parce que je n'attendais pas grand-chose non plus.

L'idée était pourtant très bonne de partir sur une histoire de « guerre psychologique » (à la Zizanie ou Le Domaine des dieux) plutôt qu'un voyage. Ce sont souvent les meilleurs albums : ces histoires où la potion magique est inefficace et où la malice d'Astérix et la sagesse de Panoramix devront venir à bout d'un ennemi usant d'armes immatérielles, faisant au passage réfléchir sur le mode de pensée des habitants du village, et donc de nos contemporains. Goscinny excellait dans ce concept. Fabcaro, moins.

Dans L'Iris blanc, Vicévertus (apparemment un mélange de BHL et Dominique de Villepin, moi je trouve pas et du reste je ne vois pas le lien avec la choucroute) va user de la « pensée positive » pour affaiblir le village et le rendre... tolérant. Nos amis ne se battent plus, acceptent tout et, logiquement, devraient finir par adhérer à l'occupation romaine. Heureusement Astérix va tout mettre en œuvre pour que la discorde règne à nouveau.

Alors je comprends l'idée, hein : la vraie démocratie, et la vie en général, c'est le conflit, et si on tolère tout on ne vit plus vraiment, donc il faut renverser ça mais... déjà je ne vois pas comment Vicévertus arrive à autant retourner tout le monde (il ne fait que dire des lieux communs sans grande force), et ensuite je trouve que l'album brise deux codes essentiels de ce genre d'histoire : d'abord, il la transforme en plein milieu en histoire de voyage, puisque vers la moitié de l'album l'enjeu change complètement et il s'agit d'aller retrouver Bonemine qui a fui le village. Et ensuite, surtout, le beau parleur n'est pas puni par là où il a péché. 

Le principe des histoires de guerre psychologique dans Astérix, c'est de retourner le piège contre celui qui le tend. Ce n'est pas le cas ici, ce qui n'est pas étonnant car la teneur du piège n'est pas claire. Je comprends comment les fausses prédictions de Prolix tournaient la tête de tout le village dans Le Devin. Je sais comment le capitalisme de Saugrenus perturbait l'équilibre des Gaulois dans Obélix et Compagnie. Je vois parfaitement comment Détritus mettait le dawa dans La Zizanie. Et du coup je comprenais comment on pouvait retourner ces mécaniques contre eux. Ici, ne comprenant pas bien comment Vicévertus corrompt les gens, il est impossible de le prendre à son propre jeu, et d'ailleurs les auteurs le savent puisqu'ils s'en sortent par une pirouette. Je ne dis pas qu'il ne faut jamais briser les codes établis, mais pour moi ici le résultat n'est vraiment pas à la hauteur du modèle imposé par Goscinny. Restent plein de calembours plutôt réussis et un graphisme parfait.


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