Ex nihilo Neil

24 novembre 2021

Au guet !

 

La fine équipe : Cheerie, Angua, lady Ramkin, Vimes, Detritus et Carrot.
Oui, y en a qui surprennent...

 

J'ai finalement pris sur moi, et j'ai regardé la saison 1 de The Watch, la série adaptant les romans du Disque-Monde de Terry Pratchett. En tant que grand fan de l'œuvre, j'étais très inquiet, surtout que les premiers retours n'étaient pas du tout enthousiastes. Au final, il y a beaucoup de choses à dire. 

Adaptation honteuse ?

Et le premier point qui va choquer le fan des romans, c'est très certainement l'univers. Les annales du Disque-Monde sont généralement présentées comme une version parodique de récits d'heroic fantasy à la Tolkien, mais c'est extrêmement réducteur : bien sûr on y trouve des nains et des trolls et on s'y bat à l'épée et à l'arbalète, mais la ville d'Ankh-Morpork, au centre de cet univers, est tout autant une ville de la Renaissance (avec son patricien, son système de guildes et ses intrigues politiques) qu'une cité du XIXe siècle en pleine Révolution industrielle (on y voit apparaître des innovations technologiques quasi steampunk, comme les clacs – mélange de télégraphe et d'Internet – ou le chemin de fer).

La série télévisée s'est embarquée dans une vision très moderne, un peu steampunk (mais surtout punk), très éloignée de ce à quoi les adaptations nous avaient habitués jusque-là*. C'est... déroutant, parce que c'est rare en fait. Je n'ai jamais vu d'univers comme ça. C'est assez rafraîchissant, et je gage que des gens qui ne connaissent pas du tout Terry Pratchett pourraient y trouver beaucoup de qualités. Mais je comprend que beaucoup de fans se sentent trahis.

Richard Dormer et Marama Corlett font
à mon avis partie des points forts de cette adaptation.

 

Des personnages défigurés ?

Autre point de discorde évident : les personnages. Tous ont été modifiés, et ça va du changement relativement mineur (Carrot est moins naïf mais il reste Carrot, Vetinari est une femme désormais mais sinon, c'est toujours Vetinari) à des métamorphoses complètes (Sybil Ramkin est tout simplement un autre personnage). Avec au centre le capitaine du Guet Sam Vimes, à la fois totalement différent et très proche de ce qu'il est dans les romans, joué par un Richard Dormer** que j'hésite presque à dire « en état de grâce »... Certes il cabotine à bloc, mais en même temps il est à 200 % dans son personnage, et offre une performance que je trouve inoubliable. Toujours est-il que maintenant, quand je visualise Vimes, c'est lui que je vois, et ce n'est pas rien.

J'ajoute que la série se donne beaucoup de mal pour être inclusive et très LGBT+, notamment avec le personnage (très) modifié de Cheerie, mais aussi dans une esthétique régulièrement « fabulous », et c'est également à mettre à son crédit.

Oui, Il est là lui aussi. Heureusement.

 

Une histoire foutraque ?

Le scénario, en revanche, est sans doute le point faible objectif de la série. Il mélange des éléments de Guards! Guards! (Au guet !), Nightwatch (Ronde de nuit), Thud! (Jeu de nains), Snuff (Coup de tabac)... pour un résultat un peu bordélique et sans doute pas facile à suivre si on ne connaît ni l'univers, ni les personnages. Au final je trouve que ça passe, mais il ne faudrait sans doute pas trop analyser les tenants et aboutissants de l'enquête en cours. 

Le méchant de la saison sera Carcer Dun (le serial killer de Nightwatch,
totalement repensé). Avec des gobelins mercenaires, qui font partie des
personnages les plus drôles de la série.

Mais l'esprit est-il toujours là ?

Bien sûr, on n'est pas au niveau des livres, de l'écriture ciselée, magnifique, montypythonnesque et en même temps terriblement acérée de sir Terry Pratchett. Mais les créateurs de la série ont bien fait leurs devoirs. Il y a sans arrêt des références à des tas d'aspects du Disque-Monde, à d'autres histoires, à des points de détail de l'univers qui auraient très facilement pu être oubliés. 

Et globalement, l'histoire est une enquête menée par un pauvre type qui essaie de bien faire malgré les aléas du destin, de donner un sens à sa vie, une intrigue durant laquelle on nous explique qu'il vaut mieux être soi-même et se sacrifier pour ses amis que laisser faire et souffrir dans son coin. J'ai du mal à dire que ces gens n'ont pas un peu compris le message de Pratchett, et qu'ils n'ont pas essayé de le partager***.

Cheerie, naine de 1,80 mètre sans barbe. Un choix audacieux,
mais qui a du sens dans l'approche LGBT+ de la série.

 

Alors, au final ?

Je me suis surpris à apprécier.Vraiment. Je ne dis pas que c'est devenu ma série préférée, ni même que c'est mon adaptation préférée de Pratchett*, mais il y a plein de bonnes choses, les acteurs sont bons, les décors et l'ambiance réussis, le rythme soutenu (il se passe beaucoup de choses en huit épisodes) et au final, il m'est même arrivé de rire pour de vrai.

Si vous aimez les livres, ça va sûrement vous faire bizarre, et au final vous n'aimerez peut-être pas du tout. Si vous n'avez pas lu les livres, ce sera sûrement plus facile d'accepter certains choix, et en même temps vous allez être un peu perdus au début. Et je me refuse naturellement à envisager l'hypothèse où vous auriez lu mais pas aimé les livres. Ce serait trop triste.

 

* Adaptations dont la meilleure reste encore aujourd'hui Going Postal, sans contredit.

** Son nom ne vous dit rien mais vous l'avez déjà vu quelque part ? Oui, dans Game of Thrones. C'était Beric Dondarrion, le Robin des Bois immortel. 

*** Et de fait je me retrouve, et j'en suis navré, en désaccord avec Rhianna Pratchett (fille de) qui a déclaré : « Je pense qu'il est assez évident que The Watch n'a aucun ADN commun avec le Guet de mon père. Ce n'est ni une critique, ni un soutien, c'est juste un fait. » De son côté Neil Gaiman (ami de) a simplement commenté : « Les fans aiment le matériau d'origine, donc si vous faites autre chose, vous risquez de vous les aliéner à une échelle monumentale. Ce n'est plus Batman si vous en faites un reporter en imperméable jaune avec une chauve-souris domestique ! » Voilà voilà...

4 commentaires:

Vichenteku a dit…

Pas vu, mais les commentaires sont toujours et seront toujours les mêmes. A regarder, si j'ai bien compris pour tout ceux qui aiment les séries décalées et les univers bordéliques. Pour le reste, bah oui, c'est pas du Pratchett dans le texte, mais bon, il est mort faut s'y faire... Et La mort est très très belle, je trouve avec ses deux lampes à la place des yeux...

SammyDay a dit…

Je n'ai pas été aussi impressionné par mes lectures de Pratchett (a priori je n'ai pas lu les meilleurs) que ne l'ont été mes camarades de l'époque. Du coup, j'ai beaucoup de mal à le considérer comme une idole qu'on doit respecter envers et contre tout. Mais également pas forcément intéressé par ce genre de séries si elles ne sont pas en soit bonnes - alors bon, on verra.

Vichenteku a dit…

Brule en enfer, Âme impie!!!! mais en toute amitié bien sûr.

Pour être un peu plus constructif, il est clair que ce n'est pas simple de rentrer dans ce style de roman. C'est souvent des histoires à tiroir de commode de grand-mère et on ne sait pas très bien qui est quoi ni où et la multitude de persos n'aide pas forcément à la compréhension globale du sujet. Mais si tu fais un effort pour te poser, c'est vraiment de la grande littérature et je ne te parle que de la VF. La VO doit vraiment être grandiose.

Neil a dit…

Je suis justement en train de lire Guards! Guards! en VO. C'est bien mais c'est chaud, beaucoup de jargon british pas évident pour un Français, même si je lis raisonnablement bien l'anglais. En revanche je ne peux que louer (encore) la traduction de Patrick Couton, c'est hallucinant.