Ex nihilo Neil

11 décembre 2023

Le retour de Gaston

 

Si vous ne suivez pas l'actualité de la bande dessinée et que vous n'êtes pas abonné à Spirou, vous avez peut-être été surpris en découvrant dans les bacs de la Fnouc un nouvel album de Gaston, plus de trente ans après la fin de la série. Alors, s'agit-il d'une vraie réussite artistique, ou d'une énième resucée purement commerciale ?

Avant de répondre à la question, il est important de signaler quelques points importants, le premier étant que, comme beaucoup de dessinateurs de ma génération, je considère que Franquin est Dieu. Au sens où c'est un artiste à la cheville duquel j'estime que personne n'arrive ni n'arrivera jamais. André Franquin était au dessin humoristique ce que Bach fut à la musique baroque, ce que Super Mario est au jeu de plate-forme, ce que le xénomorphe est aux monstres de film : la perfection, un horizon indépassable, derrière lequel les suivants se contentent d'espérer produire quelque chose de potable qui leur vaudrait une petite tape sur l'épaule de la part du maître. 

Franquin c'est le pivot, le centre, le pic de la BD franco-belge : avant, ça progresse vers Franquin, ensuite ça court après Franquin. Que ce soit en termes de composition de planches, d'humour mais surtout de dessin et de dynamisme, c'est l'optimum, pas moyen de faire mieux. C'est tout. 

Alors quand les éditions Dupuis annoncent une reprise de sa série phare, Gaston, cette série avec laquelle j'ai quasiment appris à lire (mais pas à dessiner, car déjà à l'époque j'avais compris qu'il était inutile d'essayer de reproduire les œuvres du grand homme et me contentais de copier le style de Peyo, exigeant mais plus accessible), autant vous dire que j'étais prêt à hurler à la lune avec le reste des fans. Gaston, l'œuvre phare, inégalable ! Qui allait oser s'y frotter ? Sûrement un inconscient, un petit jeune qui allait souiller le chef-d'œuvre sans même comprendre la teneur de son sacrilège... J'étais presque prêt, par avance, à lui pardonner.


Eeeet... tiens non, ils ont choisi Delaf, dessinateur et coauteur des Nombrils. Et... c'est une très bonne idée en fait. Pour peu qu'on les analyse en profondeur, les planches des Nombrils ont un peu la même structure que les gags de Gaston : une écriture fine (quoique plus bavarde), plusieurs gags parsemés qui préparent la dernière case (car dans les deux œuvres la chute n'est pas le seul élément drôle) et définissent tout un univers, une grande attention apportée aux caractères des personnages... bref, une BD de gags qui n'oublie pas d'y mettre beaucoup d'efforts, qui ne prend pas le rire par dessus la jambe, tout en s'astreignant à rester accessible.

Mais je demeurais vigilant. Après tout de bons auteurs s'étaient déjà risqués à l'exercice (Yann et les deux Léturgie avaient réalisé Gastoon, version juvénile – en quelque sorte – du héros sans emploi) et ça n'avait pas été incroyable. Qu'est-ce que ça allait donner cette fois ?

Eh bien, et croyez bien que je mesure chaque mot dans la phrase qui va suivre, Delaf fait du bon boulot. Le nouvel album de Gaston n'a pas à rougir à côté des albums de Franquin. Je ne saurais l'écrire autrement, mais j'espère que vous comprenez que de ma part, il n'y a pas de compliment plus fort que celui-ci : Le Retour de Lagaffe est un bon album de Gaston.

2 commentaires:

Dimitri a dit…

Nul doute que cet album semble très bon, au vu des retours.

Pour moi, c'est moins ma came, et ça fait partie de la tournure de personnages en produits qui sévit depuis... Bon, longtemps, on va pas se le cacher.

Mais Delaf est excellent, pas de doutes là-dessus.

Ce qui me gêne plus, c'est le fait que Franquin avait explicitement indiqué qu'il ne voulait pas que la série soit reprise.
Et si Gaston était dans le domaine public, bon, là y'a plus rien à dire, mais le gaffeur n'y entrera qu'en 2067 (en principe).

Donc oui, c'est encore une histoire de gros sous. C'est une histoire faite de façon compétente (contrairement au film de 2018), mais ça reste purement pour le pognon (pas pour Delaf, qui de toute évidence fait ça par passion sincère pour le personnage).

Enfin, au moins c'est bien.
C'est dommage, mais c'est bien.

Neil a dit…

Ce n'est en effet pas très classe de la part de Dupuis, dans la mesure où Franquin avait expressément demandé de ne pas reprendre Gaston. Cet album ne devrait pas exister, mais dans la mesure où il est là, j'ai pris le parti de le juger sans tenir compte de cet aspect, sur le plan purement artistique.

Mais je dois bien le reconnaître, si l'album avait été mauvais, j'aurais sans doute argué que « cet album n'aurait même pas dû exister, c'est une aberration » et je l'aurais laissé sombrer dans l'oubli.